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cette singulière ignorance ; c’est une manière de se frotter les yeux : « La Comédie de la mort par Théophile Gautier ! Quoi ! Théophile Gautier poète ! Le prince des moqueurs (elle avait lu les Jeunes France) ce maitre en ironie, ce grand sabreur de renommées, est aussi un rêveur de cascades, lui, le brillant feuilletoniste de la Presse… » Du reste elle admira très fort la Comédie de la mort, qui, après tout, je le reconnais, quoique aussi peu de Gautier que possible, contient des morceaux de facture très remarquables.

En revanche, elle a bien suivi et bien compris George Sand, non pas dans son évolution interne (de quoi l’on ne pourra s’apercevoir que vers 1860), mais dans son évolution apparemment capricieuse qui dépendait des amis successifs qui la modifiaient et la transformaient tour à tour ; et comme Latouche avait dit d’elle, très heureusement : « C’est un écho qui agrandit la voix, » Mme de Girardin a dit, la première fois, je crois, à son propos : « Le style, c’est l’homme. » — « A chaque amitié nouvelle de Mme Sand, nous nous réjouissons ; chaque nouvelle relation est un nouveau roman. L’histoire de ses affections est tout entière dans le catalogue de ses œuvres. Elle rencontra un jeune homme distingué, élégant et froid, un ingrat de bonne compagnie, ce qu’on appelle un homme du monde (de Sèze ?) et notre littérature vit éclore un chef-d’œuvre, Indiana. Plus tard, un jeune homme, d’une condition moins brillante, mais de bonne famille et d’un admirable talent (Jules Sandeau) est présenté à George Sand, et bientôt les lecteurs enchantés apprennent que Valentine a donné sa vie à Benedict. A l’horizon apparaît un poète (Musset) et soudain George Sand a révélé Stenio (dans Lélia). Un avocat se fait entendre (Michel de Bourges) et George Sand se montre au barreau et Simon obtint la main de Fiamma. George Sand rencontre sur sa route périlleuse un saint pasteur (Lamennais), et voilà que les idées pieuses refleurissent dans son âme, et voilà George Sand qui redevient morale, austère même, plus austère que la vertu ; car la vertu consiste à refuser simplement ce qui est mal ; George Sand va plus loin : elle pousse le scrupule jusqu’à refuser ce qui est bien et l’on voit sa dernière héroïne, en compensation de toutes les autres, refuser un honnête et bon mariage qui ferait son bonheur et celui de toute sa famille, mais que George Sand trouve plus généreux de lui faire dédaigner… Cette sainte métamorphose étant due