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la collection de ces « lettres parisiennes, » que je vais parler.

Le style en est, pour moi, délicieux. C’est très exactement le style parlé, et c’est à savoir le meilleur des styles, à preuve que pour les sots ce n’est pas du style et qu’ils n’appellent style que ce qui, d’une façon ou d’une autre, s’éloigne de celui-ci. Pour eux, Montaigne, La Fontaine, Mme de Sévigné, Voltaire, Mérimée, Edmond About ont du mérite, chacun le leur, mais il est regrettable qu’ils n’aient pas de style. A la bonne heure ; Fléchier en a un. Mme de Girardin n’est pas de la famille de Fléchier ; elle est de la famille des autres.

Sa manière va, sans disparate, de la confidence abandonnée, quoique toujours en langue très correcte, à la maxime, à la sentence, au trait, mais qui n’a jamais l’air cherché, qui ne l’est pas, je le jurerais, et qui n’est que sa pensée se résumant et se ramassant comme tout à l’heure elle se laissait aller à une démarche nonchalante. En d’autres termes, Mme de Girardin se promène avec vous en causant, à petits pas, puis, quelquefois, s’arrête et vous regarde et vous jette un mot isolé, sa pensée ayant fait sur elle-même comme un nœud. Les traits de Mme de Girardin ne sont que les nœuds en relief du fil de sa conversation. Le tout est très piquant, très savoureux et toujours parfaitement simple : la pensée varie, mais le ton est toujours le même. Cette unité dans la variété est appréciable.

Voyez ceci, simple comparaison, mais combien juste, et (parce qu’elle est juste, mais encore il y faut du talent) si bien suivie. Il s’agit d’un esprit systématique qui finit par être comme dévoré par son système : « On ne possède pas impunément une grande idée. Les idées sont comme les femmes en amour. On les poursuit avec ardeur jusqu’au jour où ce sont elles qui vous poursuivent avec passion. Une idée qu’on a trouvée est comme une femme qu’on a séduite ; elle ne vous laisse plus de repos. Hier vous la cherchiez : c’est aujourd’hui elle qui vous cherche ; vous ne pouvez pas l’abandonner. Une seule chose peut vous délivrer de la femme ou de l’idée ; c’est l’infidélité. Qu’un autre s’empare d’elle, et vous êtes libre ; mais qui voudrait de la liberté à ce prix ? Fourier a été pendant de longues années la proie de l’idée sublime qu’il avait trouvée. D’abord il l’a aimée pour elle-même et il a vécu de l’espoir de la réaliser ; puis les obstacles sont venus, que dis-je ? les impossibilités. Alors l’idée méconnue s’est révoltée ; elle est devenue acariâtre et maussade