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et sur des plans différens le besoin de savoir et le besoin d’espérer : ils sont en un certain sens des hommes plus complets que les autres puisque de leurs deux attitudes possibles en face du monde, l’idéaliste et la réaliste, l’une n’a pas tué l’autre ; leur capacité d’être heureux s’en trouve doublée.

En revanche, Poincaré ne ménage pas son ironie à ceux, — méritent-ils encore le nom de savans ? — qui ne voient dans une conquête scientifique que l’avantage qu’en peut tirer tel ou tel parti, à ceux qui, en présence de tel fait nouveau s’écrient : « Ah ! je voudrais bien savoir quelle tête vont faire les cléricaux ! », à ceux qui, d’autre part, considèrent « la partialité comme une obligation morale, ainsi qu’on fait lorsqu’on est dominé par un souci d’apologétique, »

Ces derniers soulevèrent autour de Poincaré et du poincarisme une tempête bien inattendue, et dont le fracas n’est pas encore oublié, le jour où s’emparant d’une phrase de Science et Hypothèse, ils clamèrent que la terre ne tournait pas, que Poincaré, auxiliaire imprévu du Grand Inquisiteur, se dressait contre Galilée, et que celui-ci avait été justement condamné. Cela prit les proportions d’un vrai scandale. Exposant ses idées sur l’incertitude de nos connaissances, sur notre impossibilité de connaitre autre chose que le relatif, et notamment, sur notre impuissance à la fois logique et expérimentale à concevoir l’espace absolu, Poincaré avait écrit ceci, qui déchaîna toute l’affaire : « Puisque l’espace absolu, c’est-à-dire le repère auquel il faudrait rapporter la terre pour savoir si réellement elle tourne est hors de notre atteinte, « cette affirmation « la terre tourne » n’a aucun sens ; ou plutôt ces deux propositions « la terre tourne, » et « il est plus commode de supposer que la terre tourne » ont un seul et même sens. »

L’erreur de ceux qui partirent en guerre là-dessus fut de n’avoir guère compris, faute, sans doute, de l’avoir suffisamment étudié, l’aspect particulier de l’agnosticisme de Poincaré. Là où nous avons l’habitude de dire : « Il y a divers degrés de certitude, » lui dirait : « Il y a divers degrés d’incertitude, » et bien que cette formule soit moins usitée, c’est elle qui est la plus vraie, puisqu’il n’y a pas de certitude. Il n’y a que de l’impossible, du possible et du probable.

C’est pour n’avoir pas senti tout cela que certains se sont si étrangement mépris sur la fameuse affirmation de Poincaré. Et