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matisme, — de là son nom, — l’action, l’activité pratique est le but et si la science a une valeur, ce n’est que comme moyen d’action et parce qu’elle nous fournit des recettes pratiques et utiles. Pour Poincaré, au contraire, c’est la connaissance qui est le but et l’action qui est le moyen ; s’il se félicite du développement industriel, ce n’est pas seulement parce qu’il fournit un argument facile aux défenseurs de la science, c’est parce qu’en affranchissant de plus en plus les hommes des soucis matériels, il donnera un jour à tous le loisir de faire de la science. Ce point de vue n’est pas seulement plein de noblesse et de beauté, il se trouve par surcroît être plus riche de conséquences utiles, que l’utilitarisme pragmatique : il y a un siècle et demi, les pragmatistes, comme aussi les positivistes, — et comment ne pas admirer l’étrange tentacule qui réunit des écoles aussi séparées ? — auraient considéré les expériences que Galvani et Volta faisaient sur des grenouilles comme parfaitement oiseuses et inutiles. Ces hommes pourtant, avec une curiosité toute désintéressée, poursuivaient ardemment leurs recherches ; et ce sont de ces petites expériences, bonnes tout au plus alors à amuser les loisirs des petits abbés de cour, qu’est sortie toute l’industrie électrique, avec ses incalculables conséquences pratiques.

Continuons. Pour beaucoup de pragmatistes, la science n’est qu’un nominalisme ; le savant crée le fait en l’exprimant ; il dénature les faits bruts en les métamorphosant en « faits scientifiques. » Poincaré réplique et démontre que « tout ce que crée le savant dans un fait, c’est le langage dans lequel il l’énonce. » Si on constate un jour que l’énoncé d’une loi physique est reconnu incomplet ou ambigu, il faudra seulement changer le langage dans lequel on l’exprimait. De ce que le langage à l’aide duquel chacun exprime les faits de la vie quotidienne n’est pas non plus exempt d’ambiguité, en conclura-t-on que les faits de la vie quotidienne sont l’œuvre des grammairiens ?

Enfin, et c’est là le point culminant du débat, le pragmatiste considère la science comme une création artificielle, incertaine, contingente et qui ne nous apprend rien sur la réalité objective. Poincaré n’a-t-il pas démontré en effet que les sciences mathématiques sont contingentes et que les théories physiques n’expriment que des rapports, que des relations entre les objets, et non pas les objets eux-mêmes ? Ici Poincaré crie halte-là ! et