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Ceux donc qui ont proclamé à nouveau la « faillite de la science » au nom des idées de Poincaré, n’ont rien compris à ces idées ; ils auraient vu sans cela qu’elles ne battent en brèche qu’une interprétation particulière de la science due pour la plus large partie à des hommes qui ne connaissaient guère celle-ci. L’attitude de Poincaré n’a rien à voir avec celle de ces « gens du monde » sur lesquels il aimait parfois à exercer son indulgente ironie, et dont l’agnosticisme cache mal l’ignorance. « Il ne suffit pas de douter de tout, il faut savoir pourquoi l’on doute. »

La fragilité des théories scientifiques ne prouve rien contre la science ; elles ne sont que des vitrines, des cadres, des rayons où l’on range plus ou moins commodément des trésors. Pareillement dans les expositions universelles on réunit tous les produits les plus merveilleux de l’industrie en des palais de carton-pâte aux formes brillantes et éphémères ; de ce que, demain, le vent et la pluie démoliront ces monumens de carton-pâte, si on les veut conserver trop longtemps ; de ce que nous les démolirons nous-mêmes pour en construire ailleurs d’autres fort différens et y exposer à nouveau nos produits, qui osera déduire que l’industrie humaine a fait faillite ? C’est ainsi pourtant que raisonnent ceux que j’appellerais, si j’osais, les syndics perpétuels de la faillite de la science. N’est-ce pas un peu ainsi que raisonnerait un aveugle si l’idée lui venait de dénigrer la lumière des étoiles ?



Mais, à côté de cette catégorie de détracteurs simplistes et en somme naïfs, on a vu récemment se dresser pour critiquer la science et en diminuer la valeur, tout un corps de doctrines dues à des hommes très fins, très intelligens, très instruits, et qui se rattachent plus ou moins à la nouvelle philosophie pragmatique ; et ces doctrines ont cru pouvoir puiser des argumens dans les idées de Poincaré. Qu’en faut-il penser ?

Ce qui donne au pragmatisme son intérêt passionnant, c’est que tout en n’ignorant pas la science, en prenant même argument de ses résultats, il fait appel à d’autres disciplines qu’à la raison. Mais ce n’est pas le moment d’examiner cette doctrine. Pour savoir ce qu’en pense Poincaré, interrogeons-le lui-même. Tout d’abord surgit une antinomie essentielle : Pour le prag-