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celui de l’univers ne peut dépendre que de son état immédiatement antérieur, que toutes les variations dans la nature doivent se faire d’une manière continue. Certes, les anciens avaient entrevu cela, leur adage : Natura non fecit saltus le prouve ; mais Newton le premier, avec les grands philosophes du xviie siècle, a dégagé cette idée des erreurs scolastiques qui le faussaient, et en a assuré le développement. Une loi n’est donc qu’une relation nécessaire entre l’état présent du monde et son état immédiatement antérieur. C’est ainsi qu’au lieu d’étudier directement la succession des phénomènes on peut se borner à étudier la façon dont se relient deux d’entre eux immédiatement successifs, on peut se borner, autrement dit, à en écrire l’« équation différentielle. » Toutes les autres lois naturelles découvertes depuis ne sont pas autre chose que des équations différentielles. A un autre point de vue, de pareilles équations ont encore été introduites dans la physique par le fait que la plupart des êtres homogènes observables peuvent être ramenés à la superposition d’un grand nombre d’êtres élémentaires, infinitésimaux, tous semblables entre eux.

La connaissance du fait élémentaire nous permet donc de poser une équation différentielle, et il ne reste plus qu’à en déduire par combinaison le fait complexe observable et vérifiable. Il faut pour cela faire l’opération mathématique qui s’appelle l’« intégration » de l’équation différentielle. Or, dans la plupart des cas, cette opération est impossible, et l’on conçoit tous les progrès dont pouvaient découler en physique, un perfectionnement des procédés d’intégration. Ce fut là la tâche principale de Poincaré en mathématiques. Dans cette voie, ses trouvailles furent prodigieuses et il y découvrit notamment ces fonctions aujourd’hui célèbres, dont les plus simples sont les fonctions fuchsiennes (il leur donna ce nom en l’honneur du mathématicien allemand Fuchs dont les travaux lui avaient été de quelque secours). On peut représenter par ces transcendantes nouvelles que l’on appelle aussi automorphes les courbes de tout degré et résoudre toutes les équations différentielles linéaires à coefficiens algébriques. Poincaré nous donnait ainsi, suivant la vive expression de son confrère, M. Humbert, de l’Académie des Sciences, « les clefs du monde algébrique. » Poincaré fit bientôt lui-même l’application de ces instrumens algébriques qu’il avait créés à la mécanique céleste.