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paraît pas seulement comme l’adversaire de Rome, mais l’opposition même au génie latin. En ce sens, il continue et achève l’entreprise commencée au xve siècle par les humanistes ou les politiques. Les premiers avaient rêvé d’une renaissance allemande, restaurant, sous la forme classique, l’histoire, le droit, la poésie de la Germanie. Les seconds avaient peu à peu transformé en une monarchie nationale l’empire universel du moyen âge. Luther veut donner à l’Allemagne sa religion. Aussi bien s’appuie-t-il sur le sentiment public. Dans sa lutte contre Rome, c’est l’italianisme qu’il attaque. Les masses ne pouvaient rien comprendre à la théologie des indulgences. Ce qu’elles voyaient nettement, et Luther ne manqua pas de le leur montrer, c’était une protestation contre les collecteurs pontificaux et la fiscalité des Médicis. « A nous, Allemands, que nous fait Saint-Pierre !… » Au légat italien qui le cite devant lui, il oppose son droit à être jugé dans son pays. Aux théologiens d’outremonts, comme Mazzolini, qui le discutent, il rappelle durement que les Italiens ne sont pas seuls à connaître les Saintes-Lettres. Contre l’ironie méprisante de ces curiales à l’égard des « bêtes tudesques, » il relève la tête et accepte le défi. Voilà donc la lutte sur le terrain qu’il a choisi et où il va s’efforcer de rallier toutes les forces de sa nation : son prince, les seigneurs, la foule. En 1520, il en appelle de Rome à l’Allemagne. Sa cause est celle d’un peuple. Crotus Rubianus lui écrit, le 16 octobre 1519, de Bologne. « Frère Martin,… souvent je me surprends à t’appeler le père de la patrie. » Sa condamnation ne sera pas seulement « un outrage à la religion, » mais « au nom allemand. » Dans ce sentiment national perce déjà le nationalisme religieux.

Et le prophète saxon est aussi un prophète populaire. Du peuple dont il vient, auquel il appartient, il peut être compris. Il parle sa langue et c’est pour lui qu’il parle. Que les docteurs discutent dans les écoles, dans une langue morte et sous des formes désuètes, le problème de Dieu : que les humanistes, dans leurs cénacles, murmurent, à huis clos, des vérités nobles et belles qui charment l’élite ! Lui, va droit aux masses ; s’il dispute, c’est en public ; s’il tonne et enseigne, c’est du haut de la chaire. Ce n’est point pour les théologiens, mais pour les simples, qu’il compose tant de petits traités destinés à répandre et à défendre sa doctrine : en 1518, son instruction pour la confession des