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qu’Érasme, l’avaient admis. Mais Luther n’a cure de l’histoire. Il étudie en théologien, et, dans les textes qu’il retient, c’est un principe organique de vérité qu’il cherche. L’Apôtre ne s’adresse pas uniquement aux Juifs, aux Gentils, mais « à tous ; » il écrit moins « contre ceux qui sont des pécheurs manifestes que contre ceux qui paraissent justes à leurs yeux et confient leur salut à leurs œuvres. » Et par cette « justice des œuvres » que le christianisme est venu détruire, n’entendons point seulement celle des observances, des cérémonies, des rites, mais celle « des préceptes de la Loi. » Par là est révélé « que tous sont dans le péché et l’ignorance, pour qu’ils reconnaissent que leur sagesse et leur justice ne sont rien, » que « nul n’est juste, sinon celui qui croit… Justifiés donc par la foi, ayons la paix… Voici la clé d’or qui ouvre toute l’Écriture sainte… » Avec quelle allégresse, saint Paul a parlé, Luther le remarque. Mais aussi avec quel enthousiasme lui-même rencontra une doctrine si conforme à ses besoins, nous nous en doutons. « On trouverait à peine dans l’Écriture un texte semblable à ce chapitre… » Il écrira plus tard qu’il en fut tout « illuminé. » Il tient enfin cette certitude dont l’aveuglante lumière inonde une âme et se transforme en croyance comme en action.

Quelques doutes, en effet, que lui suggèrent encore ses souvenirs, les traditions, son éducation première, dans cette voie nouvelle où il est entré, rien ne l’arrêtera plus. Les thèses de 1517 ont eu plus d’éclat. Elles sont elles-mêmes un lendemain de rupture. En réalité, celle-ci est faite le jour où Luther, sous le couvert de saint Paul, proclame la doctrine de la corruption totale, irrémédiable de la nature, l’identité de l’être et du péché.

Cette corruption, avec quelle énergie, quelle éloquence âpre il la dénonce ! Le péché d’origine est-il donc seulement la privation de la justice originelle ? Il est celle « de toute rectitude, de toute force pour le bien, » plus encore, la tendance invincible au mal, « le dégoût de la lumière et de la sagesse, l’amour de l’erreur et des ténèbres, » « la blessure incurable de l’homme dans sa chair et dans son esprit. » Les théologiens ont enseigné qu’après le baptême, la concupiscence n’était plus en nous qu’une peine du péché, un état que nous restions libres d’aggraver ou de réduire. Aveugles, qui ne voient point qu’elle est le péché même, et qu’elle ne disparait point, en un moment, « comme les ténèbres devant la lumière ! » Les théologiens nous disent qu’absous de