grande révolution intellectuelle. En ruinant l’idée de loi, le criticisme d’Occam avait mis en pièces l’œuvre synthétique et réaliste des sommateurs. D’une part, elle avait dissocié la théologie de la philosophie, séparé et parfois opposé les deux intelligences, celle qui, par la raison, saisit le monde phénoménal, celle qui, par la foi, nous élève au surnaturel, proclamant ainsi l’existence de deux « vérités, » parfois inconciliables et peut-être contraires. D’autre part, la raison découronnée, le monde n’avait plus apparu que comme un système d’activités individuelles. La volonté était passée au premier plan, et elle-même ne pouvant se concevoir sans sa pleine autonomie, toute la valeur de l’être avait été concentrée dans cette puissance souveraine de se déterminer et de choisir : la liberté. De cette conception de la connaissance et du monde il n’est pas difficile de retrouver l’influence dans la pensée originelle du réformateur.
Elle domine sa théologie. Et donc, si dès 1511, dans ses premiers écrits, il oppose les vérités de foi et les vérités de raison, la philosophie et l’Écriture, s’il ramène, dans l’ordre religieux ou moral, toute certitude à l’autorité seule de la parole divine, c’est la doctrine d’Occam qu’il reflète. De son fidéisme voilà le point de départ intellectuel. Et pareillement, s’il conçoit le problème religieux comme celui des relations individuelles de Dieu et de l’âme, des rapports de la grâce et de notre activité, c’est toujours la pensée occamienne qu’il reproduit. Ce problème, Luther le résout alors comme son maitre, par une théologie des œuvres et de la liberté. Peu à peu cependant, il allait trouver, et dans l’occamisme même, des raisons spéculatives de s’en éloigner. De la double affirmation de l’École, la liberté de Dieu et la liberté de l’âme, c’est à la première surtout que sa nature religieuse s’attache. Mais si Dieu est libre, comment une liberté souveraine se peut-elle concilier avec nos idées de justice et de loi ? Conditionner l’action divine, lui fixer des raisons, et quelles raisons ? les nôtres, c’est la limiter. « La raison que Dieu ne peut être injuste, écrira-t-il en 1516, est que sa volonté n’a aucune loi… Il n’y a pas, il ne peut y avoir d’autre cause à la justice de Dieu que sa volonté seule… » Et encore, si Dieu est libre, comment notre liberté peut-elle se concilier avec la sienne ? Car si l’homme peut s’ériger en cause, ne dépendre que de lui-même et de lui seul, être, d’un mot, une petite souveraineté dans l’univers, que devient l’universelle souveraineté de