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moins en peine, si on me volait quelque chose. » Civil ou canonique, le Droit n’est que le triomphe de l’égoïsme, « l’hypocrisie » de l’intérêt, donc l’opposé de la morale et de la charité. Comment l’amour de la loi se concilierait-il avec la loi de l’amour. « La vraie justice pour l’homme est de ne rien retenir… L’universelle justice est l’humilité. » — La philosophie ? « Il y a plus de philosophie et de sagesse dans tel verset des Psaumes que dans toutes les métaphysiques qu’un Aristote pourrait écrire. » On verra par ailleurs comment, dès 1511, Luther traite le Stagyrite, « ce raconteur de fables. » Il n’est guère plus juste pour Platon, et si on a pu relever des idées néo-platoniciennes dans ses premiers écrits, ce n’est point à Athènes, ni à Alexandrie, c’est à saint Augustin qu’il les emprunte. Le stoïcisme lui semble « une sottise, » comme toute philosophie d’ailleurs, illusion d’impuissans « qui roulent le rocher de Sisyphe… » Et si enfin notre moine se pique de connaître les poètes, il n’est point dupe de leurs leçons. « Que sont Homère, Virgile et les poètes tragiques, sinon des incendiaires, les conseillers de l’homicide, les panégyristes de tous les péchés humains ?… » Hyperboles, certes ! qu’adouciront plus tard l’influence de Mélanchton et la pratique de la vie. Mais à l’encontre d’un Érasme, d’un Zwingli, Luther n’est pas un humaniste. Il a pu pratiquer l’antiquité, sans se livrer à elle. Il ne l’aime point ; et il lui manquera toujours ces dons que la culture classique donne à un esprit, la grâce et la mesure, et à une doctrine, le sens du relatif qui rend humaine la vérité. Ce génie religieux est et restera avant tout un théologien.

Prenons-le donc comme tel et analysons les élémens spéculatifs dont son fidéisme va se constituer.

Par éducation, par profession, c’est d’abord à la théologie médiévale qu’il se rattache. A Erfurt, Trutvetter et Usingen lui avaient enseigné l’aristotélisme. De 1504 à 1512, c’est la scolastique qu’il étudie et professe, en prenant ses grades de théologien. Ainsi le futur réformateur avait-il commencé par être l’élève de la tradition. Tradition spéciale, cependant, celle de son ordre, celle des Mineurs, qui lui fera ignorer la pensée plus compréhensive de saint Thomas, et qui le rattachera à l’influence presque exclusive d’Occam. « Je suis de son parti, » écrira-t-il encore en 1520. — Querelles d’écoles, dira-t-on. — Mais prenons garde qu’il n’y a pas eu avant la Réforme de plus