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Ce n’est pas le lieu de pousser une démonstration qui demanderait une étude plus détaillée : il suffit de rappeler un fait précis, à savoir, qu’en 1776, au moment où la France se décidait à intervenir dans la querelle et apportait ainsi, aux colonies révoltées, un concours moral non moins appréciable que l’appui militaire et pécuniaire, Paris, — le Paris des fils de Jean-Jacques, gros lui-même d’une Révolution, ne rêvait que de la Constitution américaine : « Toutes les têtes étaient exaltées, écrit Mme Campan ; il n’y avait point de cercle où l’on n’applaudit avec transport à l’appui que le gouvernement français apportait à la cause de l’indépendance américaine. La constitution projetée pour cette nation se rédigeait à Paris, tandis que la liberté, l’égalité, les droits de l’homme faisaient le sujet des délibérations des Condorcet, des Bailly, des Mirabeau, etc. »

Condorcet comptait au premier rang des fournisseurs patentés pour les peuples en besoin de constitution. Consulté, il s’essaya par ses Lettres à un citoyen de Virginie, au rôle qu’il devait jouer, en France, sous la Révolution. M. Jules Roche a signalé déjà, dans les conseils émanant de Condorcet, les principes qui dominent la Constitution américaine : les droits naturels de l’homme antérieur aux institutions sociales, la séparation du pouvoir législatif et du domaine de la loi, l’impôt proportionnel, la Constitution d’un tribunal suprême, etc…

Certes, d’autres influences se sont exercées : ni la Hollande, ni l’Allemagne, ni la Suisse n’ont été tout à fait absentes de l’esprit des hommes qui fondaient, en pleine maturité et conscience, une république démocratique et fédérative ; encore moins saurait-on nier l’empreinte britannique ; elle est partout ; mais, de dire qu’elle ait été prédominante dans la constitution elle-même, c’est un singulier abus des mots. On pourrait affirmer, au contraire, qu’il y eut, chez les rédacteurs de l’acte constitutionnel, un dessein bien arrêté de prendre le contre-pied du système anglais : au lieu d’une royauté, ils fondent une république ; rejetant le principe héréditaire, ils soumettent tout le système constitutionnel à l’élection ; au lieu d’un régime parlementaire, ils affranchissent autant, que possible, le chef du pouvoir exécutif de l’autorité du Parlement ; pas de ministres responsables, pas de cabinet ; une fédération de parlemens locaux rognant les ongles au Parlement fédéral[1].

  1. Hamilton établit que c’est de parti pris et pur opposition au système anglais