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dant, il fallait, coûte que coûte, rompre ce silence dont il voyait bien que Marthe souffrait. Il chercha dans son pauvre cerveau vidé ce qu’il pourrait bien dire. Il n’aboutit qu’à cette piteuse question :

— Et maintenant, qu’allez-vous faire ? Qu’allons-nous faire ?

Marthe considéra, à travers ses pleurs, ce géant dont les muscles restaient inemployés et qui se penchait vers elle, pantelante, comme pour puiser des forces. Et il lui vint cette pensée qu’il n’était aussi qu’un grand enfant, travailleur lui, mais pas beaucoup plus prévoyant que ce fils dont il blâmait les actions incohérentes. Alors elle lui répondit :

— Ce que je vais faire ? Oh ! je vais me coucher, je suis brisée. Je réfléchirai demain. Quant à vous, père…

Elle hésita à poursuivre. Jérôme l’encouragea. Il avait tant besoin qu’on le conseillât !… Marthe se rappelait quel réconfort lui avait apporté Gabriel Baroney dès le début du drame dont la fuite de Maxime était un épisode logique, prévu. Elle lui était reconnaissante de sa rude franchise d’alors. Il ne l’avait point convaincue, mais il l’avait instruite. Il y a des mots qui sont des semences. Pour les avoir entendus un jour propice, on reste toute sa vie sous leur heureuse influence. Marthe aurait voulu que Jérôme profitât de l’expérience de son frère.

— Si vous alliez voir l’oncle Gabriel…

— Gabriel ? répéta Jérôme. Oui, peut-être… Il voit plus clair que moi dans toutes ces histoires-là…

Tout en regagnant Saint-Chartier dans la voiture que le baron avait laissée à sa disposition et qui l’attendait à l’hôtel Descosses, Jérôme Baroney, enfoui dans le capuchon de son manteau, arracha de son cœur ses dernières illusions. Jamais il n’avait ressenti pareil écrasement. Et ce n’était certainement pas la tante Anna qui allait lui porter secours. Car il demeurait seul des hôtes d’été du Château-Neuf. Rolande et sa mère avaient quitté le Berry depuis une quinzaine, emmenant avec elles le baron Malard. La jeune fille avait résolu de guider Louis-Napoléon dans ses achats modernes pour l’aménagement pratique du château. C’était le prétexte officiel, pour la galerie. Son intention véritable était de se montrer au baron dans toute sa gloire parisienne et d’achever sa conquête… Et la maison de la tante Anna s’était vidée. A Épirange, en l’absence du baron, Jérôme travaillait seul. Il ne restait plus que Maxime qui venait, de