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petites pyramides blanches. Mais leurs yeux brillent comme ceux des chauves-souris sous l’ombre des masques noirs. On dirait un cortège de criminelles vouées au silence, privées à jamais de la lumière du jour, qu’on mène, au train du deuil, à la potence.

Le vizir (qu’Allah l’inonde de ses béatitudes !) est debout dans la grande cour intérieure dallée de marbre. Il commande et il attend, les yeux perdus sur les arabesques des murs où se mêlent le bleu, l’or et le rouge. Sur les piliers engagés qui coupent les murailles aux angles, il peut lire des versets du Coran. Pour coupole au-dessus de la grande cour, il voit le ciel indigo d’où tombent, quand le soleil est haut, comme d’une batterie meurtrière, des flèches de feu, et où passent, le soir, dans le train régulier des nuits transparentes, les légions d’étoiles.

Un grand esclave noir vient s’incliner devant le maître. Tout est prêt. Alors le vizir passe sous l’ogive qui s’ouvre sur le jardin, il suit l’allée d’orangers au fond de laquelle est une petite porte basse. Il lui faut baisser la tête, ramasser autour de lui ses voiles blancs. C’est comme s’il s’échappait par une trappe. Et le voilà dans la ruelle étroite où la mule l’attend, les larges flancs couverts des neuf tapis de feutre qui portent la haute seridja de velours. Les larges étriers d’argent ciselé, où le pied chaussé de babouches s’engage tout entier, pendent. Un esclave plie le genou et le vizir monte en selle. Il prend la tête du petit cortège de fête qui s’ordonne à grands cris et à coups de trique, dans la mince ruelle où deux mules ne se croisent que si, sous le bâton, l’une se colle au mur.

Vers les jardins ! Passé la porte de Bab Segma et la grande Kasbah des Cherarda, la procession blanche, d’une allure religieuse, va son chemin, précédée des joueurs de luth. La dernière enceinte franchie, c’est tout de suite la campagne, la vraie campagne, comme en Europe, comme en France par les jours d’été. Sur les montagnes, il y a de vraies forêts vivantes que l’eau des torrens arrose, des toisons touffues qui se dorent, se plissent, se sèchent et meurent à l’automne, revivent au printemps en frondaisons vertes pointillées de fleurs. Ah ! oui, c’est beau ! et le Fasi sait goûter l’enchantement des eaux descendues des neiges de l’Atlas et qui ont fait surgir la ville sainte comme le miracle de la grande oasis. Il sait bien que