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J’aimais la surprendre ainsi dans son royaume. Quand elle n’est plus voilée de son grand haïk, elle est comme délivrée d’une majesté mystérieuse : elle apparaît si mince et petite, dans l’étroit caftan rose, pâli sous le caftan blanc. Sa figure est toute brune, lisse et sèche comme une châtaigne dorée ; le fichu à ramages éclatans qui lui serre la tête et les tempes, pend sur sa nuque en franges de soie vive ; la lumière y joue et chatoie comme sur un plumage d’oiseau. A chaque mouvement du cou, c’est un éclair bleu comme sur un cou de colombe. Juste au-dessus des sourcils s’échappe du bandeau de soie une onde de cheveux noirs. Sous les yeux, le grand trait noir du kohl, et sur le menton, trois raies de tatouage bleu nous disent que Lialah ne néglige pas les secrets de beauté.

Dans ce triste Islam, où, pour l’étranger, la femme est absente, un sourire féminin, deux yeux gais et confians qui se posent sur vous sont chose si rare ! Il faut guetter Lialah d’un peu loin, comme on regarderait un oiseau qui attend la sécurité de la solitude pour chercher son grain ou le brin de paille de son nid. Si elle entend le pas des chevaux ou si, surprise, elle voit un cavalier surgir tout près d’elle, derrière les murs d’aloès, d’un geste instinctif elle cache sa figure ou bien elle disparaît dans sa hutte pointue, et le paysage, animé de cette unique créature vivante, semble tout d’un coup immobile et vide. Mais, si elle reconnaît une femme, elle n’a plus peur et salue d’un beau : « Psal’rherr » sonore. C’est son bonjour. On sent alors tout l’accord rythmique de cette créature simple et sans beauté avec cette campagne nue dont le charme impérieux et pauvre, à la longue, prend le cœur. C’est un accord secret des êtres et des choses. La vie humaine est à peine séparée de la nature. Rencontrer Lialah toute seule, qui moissonne avec sa petite faucille les fleurs des champs, c’est comme apercevoir de loin l’amandier sauvage, aussi solitaire qu’elle, qui fait neiger ses fleurs là où il puise sa vie modique, dans cette terre misérable où les blés ne montent jamais plus haut qu’une petite coudée.

Lialah cueille dans les champs les iris violets au cœur d’or. Ils se dressent lisses et brillans comme des cierges dans toute la plaine. Ce n’est pas le champ de fleurs ou toutes les têtes pressées s’inclinent ensemble sous la houle du vent. Non, les