a la mort dans l’âme… Un Français bien informé me disait, il y a quelque temps : « Nous savons qu’en Allemagne les autorités militaires invoquent sans cesse la nécessité d’une nouvelle guerre… Nous devons être prêts contre un coup de main. Nous savons qu’aucun de nos préparatifs ne peut nous assurer la victoire, mais nous devons être capables de mourir avec dignité… » L’émoi des Français est indicible et même exagéré, ajoutait Morier. Le danger réel contre la paix se trouve : 1° dans la doctrine des professeurs militaires allemands qui déclarent a priori qu’une guerre est nécessaire d’après des principes scientifiques ; 2° dans les idées personnelles de certains hommes d’État qui voient dans une guerre étrangère le moyen de sortir des difficultés intérieures.
« Comment parer à ce danger ? J’y ai songé toute la nuit et j’en suis venu à conclure qu’il faudrait surveiller les armemens français et non protester fortement contre ces armemens, ce qui amènerait la guerre et inaugurerait un nouveau principe de droit international contre lequel s’élèverait le monde entier. Il faudrait proposer le renouvellement de la ligue des Trois Empereurs uniquement dans le dessein de maintenir la paix de l’Europe… Je dois réclamer l’indulgence et le pardon de Votre Altesse Impériale pour lui avoir écrit si longuement, mais Elle sait combien j’ai profondément à cœur la cause de l’Allemagne et le profond intérêt que je prends à tout ce qui concerne Votre Altesse Impériale et la Princesse Royale… J’ai l’impression que si cette crise de chauvinisme réussissait à venir zum Durchbruch, (par violence,) fût-elle couronnée de succès, l’avenir de l’Allemagne serait compromis au moins durant nos vies respectives. »
Le Kronprinz savait que Morier lui avait dit la vérité et ses derniers mots, en le quittant, avaient été : « Souvenez-vous que je garde tout ce que vous m’écrivez parmi mes archives les plus secrètes et les plus précieuses. Vous ne pouvez trop m’écrire. » On reconnaîtra toute la gravité de cette lettre qui dénonçait en Allemagne un état de choses qui, malheureusement, n’a pas encore cessé.
A la même date, Morier disait à Lefebvre de Béhaine : « Je sais qu’on se promet d’obtenir de grands résultats du prochain séjour de l’empereur Alexandre à Berlin. Le prince de Bismarck persiste à se montrer préoccupé de vos armemens. A quelle