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contraire, l’armée allemande a son effectif complet et ses nouveaux fusils, de sorte que les chances d’un conflit ne deviendraient que moins favorables en attendant. L’exécution de ce plan commença par la note à la Belgique. L’article de la Post suivit, puis la seconde note. La Gazette de Cologne déclara que le même siècle, qui avait vu naître la Belgique, la verrait disparaître. Bismarck essaiera de faire de cette question un réel conflit. Je ne sais pas si notre gouvernement se rend compte de la gravité de la situation. Je ne crois pas que le gouvernement belge s’en rend compte, car, autrement, il ne commettrait pas l’imprudence de célébrer Deschamps[1], ce qui est de l’eau pour le moulin de Bismarck. Vous voyez que nous allons avoir un été assez chaud, mais il faut savoir quelles forces pourront être opposées à ce fou furieux qui va hasarder l’avenir de l’Allemagne par sa politique aveugle. Il y a d’abord l’Empereur lui-même qui, à son âge, n’aimera pas à risquer dans une nouvelle guerre ce qu’il a gagné. Le jeu de Bismarck est de l’acculer à une position où la guerre deviendrait inévitable, et il faut tout faire pour empêcher cela. Votre Reine ne pourrait-elle lui écrire, lui dire nettement le but de Bismarck et déclarer que l’Angleterre n’abandonnera jamais la Belgique ? Je ne puis concevoir le paisible langage de vos ministres. Mais la chose la plus importante est d’empêcher une entente de Bismarck avec la Russie. Je puis à peine penser que Gortchakof, qui désapprouve la politique religieuse de Bismarck et qui a résolument refusé de marcher avec lui, puisse prêter la main à une entreprise qui, si elle réussissait, ferait de Bismarck le maitre de l’Europe. »

Cette lettre est assez nette, je crois, pour que désormais on ne traite plus de roman l’Alerte suscitée en 1875 et pour qu’on n’accepte plus les démentis intéressés de Bismarck. Mais il y a mieux encore. Au retour d’un petit voyage à Innsbruck, Morier trouva une lettre de Blowitz, parue dans le Times du 6 mai 1875,

  1. Adolphe Deschamps, homme d’État belge, chef éminent du parti catholique (1807-1875), se plaignait de la pression exercée par l’Allemagne sur le ministère, et disait que sa tâche devenait impossible. « La déclaration faite à Perponcher le 11 mai que la démission du Ministère mettait en danger l’indépendance même de la Belgique, dit Hohenlohe, donne, aux yeux de Bismarck, une très petite idée de la vitalité du pays. Pour nous, nous ne pouvons en aucun cas nous réjouir de voir la Belgique gouvernée par des ministres appartenant au parti qui nous fait la guerre. Tout ce qui est ultramontain gravite autour de la France. » (Mémoires, t. II, p. 321.)