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çaise de la Belgique comme Morgengabe (corbeille de mariage) et la Hollande réunie à l’Allemagne. » Je remarque qu’ici Morier est plus affirmatif qu’au mois d’août où il critiquait à cet égard les dires de la presse anglaise. « Ces résultats, déclare-t-il, peuvent être désirables en eux-mêmes, mais s’ils doivent être octroyés à l’Europe par la seule volonté de M. de Bismarck au mépris de toute loi, de toute justice et de l’honnêteté internationale, alors je voudrais voir l’Angleterre dépenser son dernier homme et sa dernière cartouche pour s’opposer à une si damnable restauration des pires périodes de l’histoire moderne. J’ose dire que nous serions battus, mais nous combattrions assez pour fatiguer de la guerre l’Allemagne elle-même. Je crois que l’ambition de la gloire allumée comme elle l’est maintenant en Allemagne y brûlera d’une manière plus terrible qu’elle ne brûla jadis, même, dans la grande Nation, comme le charbon une fois enflammé brûle plus vivement que la paille. »

Le ministre du grand-duché, Servois, répondit avec calme et dignité aux accusations du chancelier et releva ses erreurs. Il fit remarquer que plus d’une fois des uhlans et des détachemens prussiens avaient pénétré sur le territoire luxembourgeois sans avoir été désarmés et que des milliers de wagons appartenant à l’exploitation luxembourgeoise étaient retenus en Allemagne où ils servaient au transport des troupes et de leur matériel. M. Servois ajoutait que l’on ne pouvait toucher à la neutralité du grand-duché sans réunir préalablement les puissances pour modifier l’accord de 1867. Bismarck, que cette réponse dérouta quelque peu, se borna à déclarer qu’il se réservait pour l’avenir de réclamer certaines indemnités pour les dommages dont l’Allemagne avait à se plaindre. Mais l’incident suffit pour faire comprendre combien l’indépendance du Luxembourg et des petits États était chose fragile devant l’audace et les appétits de l’Allemagne. Et cependant, l’Angleterre ne dit rien, contrairement aux désirs de Morier, pas plus que la Russie, l’Autriche et l’Italie. Tout était abandonné aux caprices du vainqueur et le silence de l’Europe était comme une abdication dont elle allait bientôt se repentir. Bismarck s’en étonnait lui-même. « La possibilité d’une intervention européenne, a-t-il dit plus tard, était pour moi une cause d’inquiétude et d’impatience. Je redoutais que la participation de la France aux conférences de Londres relatives aux clauses du traité de Paris ne