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GIOVANNI PASCOLI.

considérer comme une mère très douce, qui nous berce encore à l’heure où nous nous endormons. « Ah ! laissons-la faire, car elle sait ce qu’elle fait, et elle nous aime !… » Ce sentiment-là, il nous le communique sans prétendre nous l’imposer. En effet, cet artiste épris d’exactitude, connaissant la valeur de la précision, en connaît aussi les limites. Il sait qu’au-delà du terme où l’analyse peut atteindre, il y a les forces presque inconscientes qu’il faut laisser agir par elles-mêmes après les avoir mises en mouvement. Il possède la pudeur rare qui consiste à ne pas vouloir tout dire ; à faire crédit à la sensibilité du lecteur ; à se taire lorsqu’il a provoqué le rêve, afin de ne le point troubler.

Certes, on peut désirer un tempérament plus fort, et une personnalité moins complexe ; une représentation de l’univers plus philosophique, moins ingénue ; partant, une poésie plus riche, plus variée, plus capable de renouveler ses thèmes. Non pas que Pasoli soit toujours identique à lui-même : les différences, moins sensibles peut-être dans les Canti di Castelvecchio, sont manifestes dans les Poemetti. L’aquarelle et l’eau-forte tendent à se transformer en fresques ; l’activité de la terre, le sourd travail de Germinal, la gloire de Messidor, se traduisent en inspirations plus vigoureuses. On dirait que les poèmes cherchent à se grouper autour d’une histoire, autour de la très simple et très touchante idylle de Rosa et de Enrico. Dès lors le tableau d’ensemble s’ordonne mieux ; l’art devient moins fragmentaire ; la communion de la nature et des hommes s’affirme davantage, dans la vie universelle.

Mais aussi, des défauts apparaissent, que les Myricae ne comportaient pas d’autres se font plus sensibles, dont on entrevoyait seulement le germe. S’il pouvait être curieux de reproduire au passage le scilp… scilp des moineaux, ou le vitt… videvitt des hirondelles, c’est une erreur fatigante que de multiplier les onomatopées : les din don dan des cloches, le uuh du vent, le gre gre des grenouilles, les trr… trr… terit… terit, les siteretete, les sicceccé, et autres cris variés de la gent ailée, ont quelque chose d’enfantin, et provoquent une critique trop aisée pour qu’on s’y attarde. — Les délicats ont observé, et non pas sans raison, que Pascoli avait rarement atteint ce degré de perfection qui laisse à l’esprit du lecteur une jouissance sans mélange. Il est quelquefois précieux et quelquefois obscur ; un