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en particulier, est un thème sur lequel il ne se lasse pas d’insister. A vingt reprises, il se demande quels changemens résulteront, dans notre vie humaine, d’une conquête décisive de l’air qu’il prévoit imminente. « Le jour est proche, dit-il, où l’homme n’aura plus à regretter que la nature lui ait refusé des ailes ; et qui sait si, dès la génération prochaine, une envolée d’académiciens ou de belles dames ne constituera pas un spectacle banal ? » Mais en fin de compte, après de longues et touchantes hésitations, il en vient à admettre que cette conquête de l’air ne sera pas, pour l’humanité, un aussi grand bienfait qu’il l’a d’abord supposé. « Je prévois, parmi ses effets, une confusion de tout ordre et une destruction de toute autorité, avec des dangers à la fois pour la propriété et pour les personnes, sans compter l’impunité pour les malfaiteurs. » Si bien que le doux Cowper, pour peu que par miracle il eût le droit de légiférer, s’empresserait de décréter la peine de mort « contre tout homme convaincu de voler dans les airs. »

Ainsi le poète s’amuse à « philosopher : » mais surtout il prend plaisir à s’observer soi-même, et ses lettres nous offrent un répertoire incomparable de fines et charmantes analyses psychologiques. Écoutons-le, par exemple, nous parler de son attachement à sa maison d’Olney, qu’un savetier, après son départ, jugera trop misérable pour daigner s’y loger :


En réalité, je suis à la fois libre et prisonnier. Le monde s’ouvre au large devant moi ; il n’y a pas de fossés autour de mon château, ni de serrures à ma porte telles que je ne puisse pas les ouvrir : mais un pouvoir invisible et irrésistible, un penchant plus fort que celui même que j’éprouverais pour le lieu de ma naissance, c’est cela qui me tient lieu de murs et de prison, de limites visibles qu’il me serait interdit de franchir. Précédemment. mes souffrances avaient pour effet de me rendre odieuse la vue des lieux où je les avais subies, et de me fatiguer d’objets que trop longtemps j’avais considérés d’un œil d’abattement et de désespoir. Mais à présent il en va pour moi d’une autre façon. Les moindres pierres du mur de mon jardin me sont devenues d’intimes amis. Éloigné d’ici, j’en regretterais jusqu’à ce’ qui m’y est le plus incommode ; et que, s’il pouvait se faire que je quittasse mon misérable trou pendant quelques mois, je suis sûr que j’y retournerais avec ravissement, et ressentirais des transports de plaisir à la vue de choses même aussi déplaisantes que la toiture galeuse et les murs à demi effondrés des maisons voisines. Mais cela est ainsi, et mon misérable trou est dorénavant l’endroit que j’aime le mieux au monde : non pas en raison du bonheur qu’il me procure, mais parce que c’est ici qu’il m’est le plus supportable d’être malheureux.


Aussi bien n’y a-t-il pas jusqu’à de véritables romans que ne nous laissent deviner ces lettres du poète. Plus d’une fois, son pauvre cœur