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enfantine dont on les sentira comme parfumées : et qui sait si ce résultat de la « conversion » de Cowper ne vaudra pas, vraiment, l’immense et tragique prix qu’il lui aura coûté ?

Ses lettres suivantes de Huntingdon nous le font voir s’abandonnant de plus en plus à l’attrait de sa nouvelle existence, où déjà ses qualités personnelles et son infortune lui ont procuré de précieuses amitiés. Le 14 septembre 1765, il écrit à lady Hesketh :


Plus je vis ici, plus j’aime cet endroit, ainsi que les gens qui l’habitent. Me voici désormais en excellens termes avec au moins cinq familles, sans compter deux ou trois flâneurs de ma sorte ! La dernière connaissance que j’aie faite est celle de la famille des Unwin, consistant en un père et une mère, un fils et une fille, toutes personnes merveilleusement agréables et commodes à fréquenter. Le fils, âgé d’environ vingt et un ans, est bien le jeune garçon le plus naturel qu’il m’ait été donné de rencontrer jamais. Il n’est pas encore arrivé à ce moment de la vie où le soupçon se recommande à nous sous la forme de la sagesse, et rejette à une distance incommensurable de notre estime et de notre confiance tout ce qui n’est pas notre cher « moi. » De telle façon que ce jeune Unwin se trouve connu presque aussitôt que vu : n’ayant rien dans son cœur qui rende nécessaire pour lui de tenir ce cœur barré et verrouillé, il l’ouvre tout grand à la disposition du premier venu. Le père est un pasteur, et pareillement le fils se destine à la vie religieuse ; mais cette destination ne lui vient que de son plein gré, résultant simplement de ce que toujours il a été et demeure sincère dans sa foi et sa tendresse envers l’Évangile.


Un mois après, le 18 octobre, Cowper écrit qu’il a rencontré Mme Unwin dans la rue, qu’il l’a ramenée chez elle, et que là, dans le jardin, il s’est promené avec elle pendant près de deux heures. « Cette conversation m’a fait plus de bien que m’en eût fait une audience du premier prince de l’Europe. Le fait est que Mme Unwin est pour moi une vraie bénédiction : je ne puis la voir sans que sa société me profite infiniment. Je suis d’ailleurs traité, dans toute la famille, comme si j’étais un proche parent. Vous savez quel être timide et sauvage je suis par nature ; mais la prière la plus fervente que j’adressais au ciel, avant de quitter Saint-Albans, consistait précisément à demander que, en quelque bleu qu’il plût à la Providence de m’envoyer, je pusse y rencontrer une amitié comme celle que j’ai trouvée chez Mme Unwin. » Enfin, dès le 4 novembre, nous apprenons que Cowper s’est fixé à demeure chez ses amis les Unwin ; et toutes ses lettres, depuis lors, ne s’emploient qu’à nous décrire le calme et profond bonheur que ne cesse pas de lui apporter la société de ces braves gens.

Il se pourrait même, à en juger par le ton de ces lettres, que le