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qui, précisément, annoncent un siècle nouveau. Cette maîtrise sur les âmes d’alors, il faut la restituer à Port-Royal. « Pendant plus de cinquante ans, la conscience française, si Ion peut ainsi dire, incarné dans le jansénisme et rendue par lui à elle-même, a fait contre la frivolité naturelle de la race le plus grand effort qu’elle eût fait depuis les premiers temps de la Réforme ou du Calvinisme. Et c’est même pour cette raison qu’à de certains égards la destruction de Port-Royal, qui semble n’être dans notre histoire politique intérieure qu’une mesure d’ordre administratif, à la vérité violente et tyrannique, est, dans notre histoire intellectuelle et morale, un fait presque aussi considérable que la Révocation de l’édit de Nantes. » Aux dernières années du siècle, l’influence du jansénisme va sans cesse en décroissant ; c’est qu’en effet les hommes du cartésianisme sont nés : ce sont les « philosophes » du XVIIIe siècle professant, eux aussi, une foi exclusive dans la vérité scientifique, dans le progrès et dans la bonté de la Nature.

Soucieux avant tout de montrer l’enchaînement des idées, la direction des courans, la genèse des œuvres s’engendrant l’une l’autre, l’historien de notre XVIIe siècle ne pouvait donner à la biographie des écrivains que peu de place. Il se borne la plupart du temps à quelques indications sommaires et pourtant suffisantes, les écrivains du XVIIe siècle étant ceux qui se sont le moins engagés de leur personne dans leurs écrits. Il n’entre dans quelque détail que si, comme il arrive pour un Pascal, la vie est un commentaire indispensable de l’œuvre, ou encore s’il est nécessaire de redresser telles de ces erreurs que se repassent pieusement les historiens de la littérature, et qui affadissent et banalisent une figure, quand elles ne vont pas jusqu’à en dénaturer et fausser tout le caractère. « On nous représente toujours un Corneille grave, héroïque et naïf à la fois, presque inconscient de sa sublimité, juché sur son Horace ou son Polyeucte, comme sur un piédestal, un vieillard enfin à l’ancienne mode, un vieillard classique, méditatif et austère, uniquement absorbé dans le souci de son art et dans la contemplation des vérités morales. C’est aussi bien, pour tous les grands hommes, le privilège ou l’inconvénient du génie : la postérité les voit à travers leurs chefs-d’œuvre, elle les fixe, elle les immobilise dans l’attitude qui ressemble le plus à la physionomie même, pour celui-ci de ses Pensées, pour celui-là de ses Oraisons funèbres, pour un troisième enfin de son Polyeucte ou de sa Rodogune, et c’est ainsi que de main en main les générations littéraires [se passent un Pascal toujours inquiet, agité et anxieux, un