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GIOVANNI PASCOLI.

Ce sens des réalités rustiques, mêlé au sens de la beauté, ferait des Myricae quelque chose comme des Géologiques modernes : mais voici un autre élément. L’endroit où Pascoli nous conduit de préférence et nous ramène obstinément, c’est le cimetière. Il y a peu de poèmes, je ne dis pas dans la littérature italienne, mais dans toute la littérature contemporaine, qui produisent une impression plus saisissante que le Jour des Morts. La tempête sévit sur le champ du repos ; pluie et vent font rage dans les ténèbres ; les cyprès semblent agités de frissons. Alors s’élèvent, du fond des tombes, les voix du père non vengé, de la mère, de la fille, des deux fils ; ils adressent un appel passionné « à ceux dont ils ont été arrachés, et que leur amour ne peut plus étreindre. Ceux-ci, cependant, sont en train de prier pour les morts. Ainsi le poète évoque la destinée de sa famille. La douleur que l’enfant avait conçue, que l’adolescent avait mûrie, éclate maintenant en sanglots. Une force obscure se fait sentir en lui, au moment même où sa pensée semble se distraire dans la contemplation des choses ; et la lamentation s’élève de nouveau. Un anniversaire, un regard jeté sur ses sœurs, un souvenir qui vient furtivement traverser sa mémoire, l’obligent à reprendre sa plaintive élégie. Telle l’histoire de l’anneau. L’anneau que le père portait au doigt le jour qu’il fut assassiné, ce fut sa femme qui le prit ; puis, lorsqu’elle cessa de vivre à son tour, le fils aîné. Le fils voulut laver l’anneau dans la mer ; il l’y laissa tomber ; seule une étoile le voit encore. Toute la mer ne laverait pas la tache de sang ; l’étoile raconte le secret aux cieux infinis ; mais en vain. Tel encore ? ce symbole funèbre : dans la plaine, on entend un galop rapide, haletant, qui se rapproche. Plaine déserte, immense. Quelques oiseaux égarés passent, comme des ombres, semblant échappés à un lointain désastre, on ne sait quand, on ne sait où. On entend un galop lointain, qui vient, qui court dans la plaine. C’est la Mort.

C’est là, au point de rencontre de ces deux élémens si divers, que se trouve l’originalité de la poésie de Pascoli. D’une part, une vision très nette et un art très précis ; de l’autre, un sentiment diffus, très intense et très prenant.

La précision, d’abord, vient du travail analytique de la pensée. L’artiste se défie des synthèses, et même des généralités. Il tient à voir les objets qu’il peint dans toutes leurs particularités. L’exactitude est sa loi : il arrive par elle à la sincérité du