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éloignement pour les arts plastiques s’est même fait sentir sur les œuvres plus minuscules de la glyptique, et l’on a constaté qu’à partir du Ve siècle on ne trouve plus sur les pierres fines que des représentations informes et barbares[1] ; on prit même le parti de graver simplement sur verre les scènes et les sujets qu’on voyait autrefois sur l’agate, le jaspe ou le cristal.

Malgré ces conditions défavorables, la sculpture décorative ne disparut pas tout à fait, comme en témoignent les panneaux sculptés, chancels, devans de sarcophages, autels, etc., couverts d’une passementerie d’entrelacs ou de rinceaux stylisés et d’animaux symboliques. Les ressemblances frappantes que l’on constate dans ce domaine comme dans celui de la miniature, entre les productions franques, visigothiques, italiennes, anglo-saxonnes, montrent suffisamment la dépendance commune de tous les pays barbares vis-à-vis de l’Orient. Dans l’empire de Charlemagne, les communications fréquentes entre les écoles épiscopales et les ateliers monastiques contribuèrent à sauvegarder l’unité de la culture et du développement artistique : entre les œuvres d’ateliers aussi éloignés que Tours et Saint-Gall, par exemple, il n’y a pas de différences essentielles.

Mais à partir du Xe siècle il ne reste plus rien ni de l’unité politique, ni de l’unité intellectuelle. Les guerres civiles et les invasions normandes ou sarrasines ont ruiné la prospérité économique et rendu très difficiles les communications d’un pays à l’autre. Chaque canton s’est en quelque sorte replié sur lui-même, et l’horizon des hommes s’est rétréci aux limites de leur pays natal. Dans les monastères où s’étaient conservés quelques élémens de culture on continua sans doute à imiter et à copier les modèles dont on disposait, mais ils étaient différens suivant les régions, et parfois même ils vinrent à manquer. Il semble que ces moines-artistes, poussés par une nécessité inéluctable, se soient résolus avec beaucoup de répugnance à puiser dans leur propre fonds. En beaucoup d’endroits, les marbres antiques, dont on se servait pour revêtir les murs des basiliques, firent défaut, et l’on prit le parti d’employer pour les édifices les matériaux mêmes du pays. Les conditions de l’architecture et de l’art ornemental furent bouleversées par ce changement et, à une époque difficile à déterminer dans l’état

  1. Babelon, Séances de l’Académie des Inscriptions, 1895, p. 408.