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statuaire que l’art occidental doit sa physionomie propre ; c’est grâce à leur développement qu’il a réussi à se dégager de l’imitation orientale, et c’est justement au XIIe siècle, au moment de la renaissance de la statuaire, qu’il commence à manifester son originalité.

Il y a donc là un double problème qui a été souvent aperçu, mais qui ne parait avoir encore reçu de solution satisfaisante. Pourquoi la statuaire a-t-elle disparu au Ve siècle et pourquoi, après une longue éclipse, reparaît-elle soudain dans notre art roman ? De quel ordre sont les raisons qui poussèrent les hommes à abandonner un art si familier aux anciens, et comment se fait-il qu’à cette répulsion ait succédé au XIIe siècle un véritable engouement pour les statues ? L’histoire de l’art présente peu de questions plus attachantes et aussi plus mystérieuses. Il est possible que l’ignorance où l’on fut longtemps de l’art du moyen âge, et de l’art oriental en particulier, ait contribué à en obscurcir les données. Mais les découvertes archéologiques de ce dernier demi-siècle ont augmenté singulièrement nos connaissances et peut-être est-il possible aujourd’hui de proposer une explication.


I

De ces deux termes du problème, c’est le premier qui a surtout attiré l’attention. L’opinion courante attribue la disparition de la statuaire à des causes religieuses, et l’on n’hésite pas à soutenir que sa décadence est en fonction même des progrès du christianisme. Un des plus récens historiens de notre art du moyen âge attribue à l’Eglise une hostilité systématique contre les statues. « Ce sont, déclare-t-il, les conceptions religieuses des clercs qui proscrivirent pendant de longs siècles la statuaire[1]. »

Il est bien certain que l’aversion pour l’idolâtrie est un des caractères essentiels du christianisme à ses origines. Dans leurs traités de morale ou d’apologétique, les Pères de l’Eglise rappellent souvent la prohibition rigoureuse du Décalogue : « Vous ne ferez point d’image taillée, ni aucune figure de tout ce qui est en haut dans le ciel et en bas sur la terre, ni de tout ce qui

  1. Marignan, Histoire de la sculpture en Languedoc, Paris, 1902, p. 5.