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races peu résistantes. Les femmes se comportèrent beaucoup mieux et la mortalité infantile ne fut pas plus élevée qu’au Sénégal. Bref, l’expérience démontra ce que le bon sens faisait prévoir : les Sénégalais pouvaient très bien vivre en Algérie, à la condition expresse de les choisir parmi des individus sains et robustes ; autant que possible il faudrait les soustraire aux effets d’un climat par trop continental. Le Sud-Oranais était loin de convenir à leur tempérament. Le séjour sur la cote ou dans le Tell eût été bien préférable, les événemens du Maroc l’ont surabondamment prouvé.

Dans d’autres ordres d’idées, les difficultés ne tardèrent pas à surgir. Le prix de revient des troupes noires, que l’on croyait inférieur aux dépenses normales des régimens de tirailleurs algériens, augmenta de jour en jour. On dut bientôt leur donner des vêtemens de drap et des couvertures, distribuer des fournitures de literie pour les femmes et les enfans, prévoir une solde et une ration plus élevées. Les noirs qui marchent les pieds nus dans leur pays étaient mal à leur aise sur les « hamadas » pierreuses ou sur les hauts plateaux garnis d’herbes rudes ; on leur distribua des brodequins pour éviter d’avoir des blessés ou des traînards. L’existence monotone de garnison, sans espoir de faire la guerre, assombrissait l’humeur de tous ces auxiliaires dont la plupart avaient déjà fait le coup de feu, soit à Madagascar, soit en Afrique. D’autres soucis, plus urgens, les empêchaient de se résigner : dès les premiers jours, leur solde, nettement insuffisante, ne leur permettait pas de nourrir convenablement leurs familles, et voici que nous touchons au point critique du problème de l’armée noire. La femme et les enfans de chaque tirailleur ne sont pas une lourde gène au Soudan. Mais en Algérie, ce ménage complique singulièrement l’existence du soldat. Ne peut-il s’en passer ? Est-il donc indispensable d’avoir des gens mariés, et pourquoi ne pas se contenter de tirailleurs célibataires ?


IV

On s’imagine volontiers en France que chaque tirailleur entretient un ménage. Les bataillons du Sénégal et du Soudan-ont pourtant une bonne moitié de leurs effectifs constitués par des célibataires ; mais il ne faut pas oublier que les vieux