Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/853

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
L’ARMÉE NOIRE

La question des troupes noires a soulevé, depuis deux ans, des polémiques passionnées. En 1910, l’opinion de la presse était, en grande partie, favorable à l’idée neuve ; certains journaux laissaient même déborder leur enthousiasme. On cherchait des chiffres en toute hâte, on remettait en lumière les hauts faits accomplis, de tout temps, par les tirailleurs sénégalais, on voyait enfin le moyen de donner une solution à l’angoissant problème qui nous menace en présence de la diminution progressive de la natalité française. — Solution de Bas-Empire, objectaient, non sans raison, les contradicteurs. — Qu’importe ! répondaient les partisans, puisque nous sommes assurés de posséder en Afrique des réserves d’hommes à peu près inépuisables. A dire vrai, tout restait dans le domaine théorique et, malheureusement, les argumens invoqués de part et d’autre semblaient surtout servir des intérêts particuliers et des querelles d’armes rivales, parce qu’elles vivent sans se connaître bien. L’armée coloniale, trouvant dans la création des troupes noires un puissant remède à la crise dont elle souffre, ne craignait pas de faire un panégyrique un peu tendancieux des mercenaires qu’elle offrait ; après avoir parfaitement plaidé sa cause, elle demandait une application immédiate et sur une grande échelle : le premier essai devait porter sur 20 000 hommes ! C’était aller bien loin quand les difficultés restaient à résoudre. De leur côté, les officiers métropolitains avaient peur de se voir enlever l’Algérie : ils considéraient les soldats noirs comme des Barbares envahisseurs. Alors s’accumulaient tous les dénigremens : les Sénégalais étaient encore de vrais sauvages, leur