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Armfeldt, sortait du peuple. Par son éducation, par ses habitudes, il différait du tout au tout de Madeleine ; mais il lui promettait de lui créer des jours paisibles et doux et d’être pour elle un consolateur. Elle se donna, croyant que c’était pour la vie. Elle fut promptement désillusionnée. L’homme était indigne, cherchait à la dépouiller du peu qu’elle possédait, la maltraitait, bien qu’elle lui eût donné un fils. Ce scandale l’avait brouillée avec ses amis et sa famille ; sa mère elle-même refusait de la recevoir.

Elle passait par ces cruelles épreuves lorsque le baron d’Armfeldt revint à Stockholm. Elle lui écrivit pour lui raconter ses souffrances et pour implorer son secours. Probablement aussi, elle lui demandait un rendez-vous, puisqu’on l’entend déclarer qu’il ne veut pas la revoir. Ce n’est pas qu’il ne ressentît pour elle la plus vive compassion. Il dit quelque part : « Je me considère comme la source de ses malheurs et cette idée me tourmente toujours. » Mais il redoutait de se trouver en sa présence : « Sa vue me ferait infiniment de mal ; sa lettre seule m’a presque paralysé. » Il s’offrait seulement pour la réconcilier avec sa mère, à la condition qu’il ne fut jamais question du « misérable » avec qui elle vivait. Il entendait aussi l’aider à vivre et pourvoir à l’insuffisance de ses ressources.

Il chargea sa femme de faire connaître ses dispositions à Mlle de Rudenschold ; il lui disait : « C’est là une commission qui semblerait étonnante s’il s’était agi de n’importe quelle autre épouse ; mais, toi, tu connais mon cœur et ma façon de parler, ainsi que mes erremens et mes faiblesses… » Nous ignorons ce qui se passa entre les deux femmes qui jadis avaient été rivales. Mais une lettre écrite par Madeleine, le 16 février 1800, nous le laisse deviner et nous révèle autant de grandeur d’âme dans l’épouse trahie que de repentir dans la maîtresse abandonnée.

Celle-ci écrivait :

« Pénétrée jusqu’au fond de mon âme, madame, des expressions pleines de sensibilité qui vous ont échappé à mon sujet, c’est pour mon cœur un devoir aussi sacré qu’il y trouve une véritable consolation, de vous en marquer tout l’excès de ma reconnaissance. Ah ! madame, est-ce bien vous qui jugez avec clémence les horreurs d’une infortunée, vous qui êtes la seule au monde qu’elle ait véritablement offensée ? L’image des