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lesquels gémit l’Europe. » À cette fanfaronnade, le gouvernement napolitain répond par des railleries : « Peut-on se rendre plus ridicule qu’en tenant un tel langage ? On croit entendre la Cour de Russie morigéner un prince de Moldavie ou de Valachie et on ne peut s’empêcher de rire quand on réfléchit que c’est la Cour de Suède qui parle ainsi à celle de Naples. »

La discussion ne s’arrêta pas là. L’année suivante, le gouvernement suédois l’ayant résumée dans un rapport adressé à toutes les Cours et rendu public, le roi de Naples se considéra comme outragé par ce libelle et le fit brûler par la main du bourreau sur une place de sa capitale.

Il résulte de ces détails que le régent de Suède et Reuterholm étaient exaspérés par l’attitude du souverain des Deux-Siciles. Tandis que ce prince les accusait d’avoir voulu violer le droit des gens en cherchant à s’emparer d’Armfeldt sur un territoire étranger et même à le faire assassiner, ils répliquaient qu’en cette circonstance le roi de Naples s’était fait le complice d’un grand criminel.

Ce qui contribuait à accroître leur fureur, c’est que les Cabinets européens donnaient raison au monarque napolitain. Partout, leur conduite était critiquée et blâmée. faisant allusion au traitement dont était l’objet Mlle de Rudenschold, le duc de San Teodoro écrivait que toute cette affaire n’était « qu’une affaire de femme. » Par ailleurs, on racontait, en dénaturant la vérité, « que le Régent ne pardonnait pas au baron d’Armfeldt de lui avoir enlevé sa maîtresse. » Enfin, lorsque, un peu plus tard, le gouvernement suédois, cruellement déçu par les piètres résultats de l’alliance qu’il avait contractée avec la République française, cherchait à renouer ses anciens rapports avec la Russie et mettait comme condition à ce rapprochement que l’Impératrice lui livrerait le baron d’Armfeldt réfugié dans ses Etats, elle répondait à cette demande par un refus, à la suite duquel les pourparlers furent rompus.

Les choses n’en étaient pas encore à ce point au moment où Armfeldt se mettait en route pour Saint-Pétersbourg, sous le nom de Frédéric Brandt. La querelle que nous venons de résumer commençait à peine. Il n’en connut les premiers détails qu’après être arrivé dans la capitale moscovite, le 20 mai 1794, et probablement par le duc de Serra-Capriola, ambassadeur de Naples en Russie, chez qui il avait pris