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grande ville toute proche, vers la vieille cité genevoise où trente mille des leurs sont établis, et dont la prospérité s’est merveilleusement accrue depuis un demi-siècle, en partie grâce à eux. Comme les Genevois dans la zone, où ils ont d’ailleurs d’importans intérêts, les zoniens se sentent, à Genève, un peu chez eux. Ils y sont appelés par leurs affaires, leurs plaisirs ; ils y vont fêter à l’occasion l’Escalade, — singulier oubli de l’histoire chez des Savoyards ; — tel est l’ascendant de la « capitale » sur les ruraux du voisinage qu’ils se laissent influencer peu à peu par les idées et les tendances genevoises, ils s’imprègnent inconsciemment d’une certaine dose d’helvétisation dont on peut se demander s’il est bien opportun de favoriser les progrès par le maintien de privilèges économiques qui tendent justement à « helvétiser » les intérêts matériels des zoniens. Je sais bien que si, en 1860, une campagne un peu artificielle a pu être menée dans la Savoie septentrionale en faveur d’une réunion à la Suisse, si en 1870 on a pu encore entendre agiter à Bonneville par quelques esprits égarés l’idée d’une annexion helvétique, on ne saurait trop affirmer que les zoniens d’aujourd’hui sont aussi Français que les autres Français, et qu’on ne trouverait plus parmi eux personne pour dire, comme il a été dit en 1860 : « Si Genève est française, il faut être français ; si Genève est suisse, il faut être suisse, et si Genève est cosaque, il faut être cosaque ! » Mais pour quiconque sait l’importance prise de nos jours par les relations économiques dans les relations politiques, il ne saurait paraître désirable de laisser éternellement les zoniens sous ce régime d’exterritorialité qui risque de nuire à la longue et malgré eux à leur nationalité. — Faut-il enfin rappeler que la Suisse a depuis de vieux temps nourri, sur la Savoie du Nord, des ambitions territoriales dont nous avons constaté l’échec, une première fois en 1815 au congrès de Vienne, et une seconde fois en 1860, lors de l’annexion de la Savoie à la France ? Nous avons plaisir à rendre ici témoignage non seulement, aux sentimens d’amicale cordialité que ne cesse de témoigner à la France le gouvernement helvétique, mais encore aux liens de confiante affection qui unissent les deux peuples dans des rapports toujours plus intimes. Mais nos voisins et amis ne sauraient se formaliser si nous remarquons que, dans une certaine partie de la presse suisse, la question de la Savoie du Nord, toujours tenue en observation, se voit assez souvent agitée, discutée, et