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la Confédération suisse jugerait à propos d’y placer… » C’est une situation étrange et sans précédent, fort mal définie au surplus, qui est faite alors à la Savoie septentrionale. La Confédération n’y est investie d’aucun droit territorial, mais de la seule faculté d’y faire respecter par ses troupes, en cas de guerre, une neutralité qui est décrétée, non pas à sa demande, mais à la demande (si souvent réitérée depuis deux siècles) de la Maison de Savoie, non pas comme une faveur, mais comme une charge dont elle reçoit d’ailleurs le prix. Cette charge, cette fonction de « concierge » comme on l’a bourgeoisement appelée, la Suisse y a vu depuis lors un privilège qui lui aurait été concédé dans son intérêt propre, comme un renforcement de la neutralité helvétique : c’est ainsi qu’en 1860 elle s’en fera un argument pour soutenir ses revendications sur la Savoie du Nord, et qu’elle s’efforcera ultérieurement de maintenir ouverte une question à laquelle l’annexion de 1860 ne pourra qu’enlever toute portée sérieuse. Que restera-t-il en effet pratiquement de la neutralité savoyarde, instituée contre la France en faveur de la Sardaigne, du jour où la Sardaigne cédera la Savoie à la France ? Si la lettre des traités de 1815 est restée, je veux dire si cette lettre a été respectée par le traité d’annexion de 1860, l’esprit qui la vivifiait sur ce point s’est éteint. La question de la neutralité de la Savoie du Nord, si elle reste « actuelle » pour une partie de l’opinion suisse, n’a guère plus à nos yeux qu’un intérêt théorique. Il n’en est pas de même de la question des rapports économiques entre Genève et la Savoie ; celle-ci va passer au premier plan avec l’annexion de la Savoie à la France.


II

Redevenue sarde à la chute de Napoléon, la Savoie, sous le buon governo, sous ce régime de police militaire plus ridicule que tyrannique, plus pesant que blessant, et dont le pire vice est d’être Piémontais, c’est-à-dire étranger, la Savoie, conquérante autrefois du Piémont et maintenant sa vassale, ne fut point heureuse. « Pauvre Savoie, sire, comme cet antique héritage est traité ! » s’écriait Joseph de Maistre. Elle est traitée en terre sujette, exploitée comme une colonie : ses intérêts sont négligés, le plus clair de ses revenus s’en va en tribut au-delà des Alpes,