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une véritable autonomie financière au sein même de la communauté conjugale.

Dès la fin de la république, cette autonomie est passée dans les mœurs. Les femmes ont si bien leur fortune à part que, souvent, ne sachant pas ou ne voulant pas la gérer elles-mêmes, elles emploient des hommes d’affaires qui dépendent d’elles directement, et dans la conduite desquels leurs maris n’ont rien à voir. Parmi ces « procureurs pour dames, » il y en a dont les documens nous vantent les probes et loyaux services : il est vrai que ces documens se rencontrent surtout dans l’épigraphie funéraire, qui est un peu sujette à caution. Cicéron est moins indulgent ; trouvant sur son chemin, au cours de son plaidoyer pour Cæcina, un de ces personnages, il fait un portrait satirique de l’espèce entière. « C’est une espèce très répandue, dit-il ; on les rencontre dans la vie de tous les jours. Ils sont aussi rusés et experts parmi les femmes qu’ineptes et sols au milieu des hommes. » Sénèque, et après lui saint Jérôme, précisent les insinuations malveillantes de Cicéron, en laissant entendre que ce n’est pas seulement à sa science du droit que le « procureur frisé, » comme ils disent, doit ses succès auprès de sa clientèle. Martial le montre aussi dans une attitude légèrement scabreuse, chuchotant à l’oreille de sa patronne, passant le bras autour de sa chaise, faisant figure de sigisbée plutôt que d’intendant.

Mais à côté de ces femmes qui, dans l’homme d’affaires, voient avant tout le joli garçon, il y en a de plus pratiques et positives, pour lesquelles la libre gestion de leurs biens n’est qu’une occasion d’enrichissement, et non un prétexte à la coquetterie. De ces matrones avides et retorses, qui ont toutes les qualités et tous les défauts des financiers de profession, la femme de Cicéron, Terentia, offre le type accompli. Aussi rapace, aussi âpre au gain, que son mari est fastueux et prodigue, elle use de tous les moyens pour accroître sa fortune au détriment de la communauté. Quelquefois, lorsqu’elle remet à Cicéron les sommes qu’il lui a confiées, elle prélève quelques milliers de sesterces, à titre de commission probablement, mais sans le dire. Sur la dot de leur fille, versée au gendre par son entremise, elle ne retient pas moins de douze mille francs. Elle impose à son mari comme intendant l’affranchi Philotimus, qui le pille effrontément pendant son absence, et qui, au retour, lui présente une note fantastique : il est très probable que, de ces profits