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importe assez peu qu’on ne rencontre chez eux aucune trace de début sensationnel sur les droits des femmes : il est fort possible que, sans les avoir discutés ex professo, ils les aient, en réalité, progressivement reconnus et étendus. Ils peuvent bien avoir été féministes sans le dire, — au rebours de tant de gens qui disent l’être et qui ne le sont pas.

Mais peut-être ce terme est-il trop vague, et la question que nous posons, par suite, trop complexe. Etre féministe, dans notre langue du XXe siècle, cela veut dire bien des choses : c’est réclamer pour la femme, tantôt la libre direction de sa vie privée, tantôt l’administration autonome de ses biens ; quelquefois, c’est lui attribuer une part dans le gouvernement de la chose publique ; quelquefois, c’est, vouloir lui ouvrir l’accès des carrières jusqu’alors réservées aux hommes ; c’est aussi revendiquer à son profit un développement moral et intellectuel identique à celui de l’autre sexe. Toutes ces demandes procèdent, à coup sûr, d’une même tendance : cependant elles sont assez diverses pour qu’il soit sage de les considérer isolément. Il y a plusieurs problèmes féminins distincts, quoique connexes : voyons, — d’après les faits à défaut des théories (puisque celles-ci font défaut), — comment l’antiquité latine a résolu chacun d’eux.


I

C’est peut-être en ce qui concerne la vie privée et familiale que l’évolution a été la plus complète ; c’est là que la femme avait à l’origine le moins de liberté, et qu’elle a fini par en conquérir le plus. Rappelons-nous ce qu’est la matrone romaine au foyer archaïque, comment elle est entrée dans la maison et comment elle y vit. Elle a été fiancée toute enfant, à sept ans, à trois peut-être, et mariée à douze ans au moins, à vingt ans au plus. La loi, il est vrai, a exigé qu’elle donnât son consentement à l’union décidée par son père, mais la tradition, le mos majorum, aussi respectable que la loi, ne lui a permis de dire « non » que si le fiancé était d’une immoralité notoire. Par ce mariage, où sa volonté a eu si peu de part, elle est tombée, suivant la forte expression du vieux droit romain, « dans la main » de son mari ; elle est devenue (c’est encore un terme juridique) « sa fille, » non son égale, mais sa subordonnée. Elle règne sur les