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« suffrage vraiment universel. » De ce sujet qui s’impose, si pressant, à notre attention, qui a provoqué et provoquera, encore tant de discussions passionnées, qu’est-ce que l’on pensait dans l’ancienne Rome, dans cette Rome dont nous sommes malgré tout les héritiers, au sol de laquelle la plupart de nos institutions plongent leurs profondes racines ? Car c’est ce qui rend plus intéressant l’objet de cette étude ; par les lois, par les mœurs, par l’éducation, par ce qui a survécu de leur civilisation dans la morale chrétienne, les Romains sont les maîtres qui nous ont façonnés : il n’en est que plus utile de savoir comment leur apparaissait ce qui nous préoccupe tant à cette heure, la situation de la femme dans la société ?

Reconnaissons qu’à la différence des penseurs modernes, ils ne paraissent pas avoir institué là-dessus de controverses théoriques. Nous ne trouvons pas, dans leur poésie ou dans leur théâtre, d’œuvres « à thèse » comparables à celles de notre temps : la littérature latine ne compte pas d’Alexandre Dumas fils ou de Paul Hervieu. Et l’histoire romaine ne nous montre pas non plus d’homme d’Etat, de publiciste ou de philosophe, qui se soit voué à faire rendre aux femmes une justice qu’on leur refusait. La prédication féministe n’existe pas à Rome, — pas plus d’ailleurs que la prédication anti-féministe ; ou, du moins, celle-ci se réduit à quelques boutades plus ou moins spirituelles, qui ont tout juste autant d’ampleur et de portée que des épigrammes de petits journaux ou de revues de fin d’année. Ni d’un côté ni de l’autre, la question ne semble avoir été ouvertement discutée.

Mais il n’en faut pas conclure qu’elle n’ait pas existé en fait. Ce serait bien mal connaître la mentalité des Romains. Plus avides de réalités positives qu’épris de conceptions dogmatiques, ils n’éprouvent jamais le besoin de systématiser, de généraliser leurs manières de faire. Il leur suffit d’agir, sans définir leur action. Les faits les plus frappans de leur histoire ne les incitent pas à des explications conscientes et réfléchies comme celles où se complaît, par exemple, la fine dialectique grecque. Ils conquièrent l’univers, mais nulle part ils ne tracent un programme de politique impérialiste. Ils remplacent la république par la monarchie, mais c’est à peine s’ils indiquent discrètement, et seulement après coup, l’étonnante révolution qu’ils ont accomplie. De même, dirons-nous volontiers, il