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peuvent faire les marins italiens. Nous ne savons pas quelle impression en a ressentie l’opinion ottomane, mais nous savons quelle a été celle du Sultan. Dans une proclamation qu’il a adressée à l’armée pour lui recommander la discipline et l’obéissance : « Agir contre ces prescriptions, a-t-il dit, serait commettre une trahison envers la nation et la patrie. Ce sont les tendances qui se sont manifestées à la suite d’un grave incident qui ont encouragé l’ennemi à oser venir, dans la nuit, jusqu’aux portes de la capitale. Ces faits constituent un avertissement. »

Le Sultan exagère un peu, car les torpilleurs italiens ne sont pas venus et n’ont jamais eu l’intention de venir jusqu’aux portes de la capitale. Mais enfin le canon a retenti dans les Dardanelles, et cela doit suffire pour rappeler au Comité Union et Progrès, à l’Union libérale, à la Ligue militaire, c’est-à-dire à l’opinion et à l’armée, qu’il est dangereux, en pleine guerre, de se livrer à des opérations de politique intérieure qui renverseraient des ministères les uns sur les autres et donneraient au dehors l’impression de l’incohérence et de l’anarchie. Le ministère Saïd ne tenait plus debout ; on ne l’a même pas renversé, il est tombé ; soit, mais il est à désirer qu’on ne recommence pas. Et pourtant, nous l’avons dit, le ministère Mouktar pacha n’est qu’une belle façade derrière laquelle nul ne peut dire avec certitude ce qu’il y a aujourd’hui, et encore moins ce qu’il y aura demain. La personne du Sultan est bien effacée. Il n’était question que d’Abdul-Hamid quand il était sur le trône : qui parle de Mahomet V ? On en a parlé, il est vrai, dans ces derniers temps, mais pour se demander s’il n’y avait pas lieu de le déposer lui aussi et de lui donner un successeur. Ces velléités sont abandonnées, paraît-il, et cela est fort heureux. Détrôner un sultan ne diminuerait pas les inconvéniens qu’il y a déjà à jeter à bas des ministres. Puisse-t-on s’inspirer à Constantinople du proverbe si sage d’après lequel ce n’est pas au milieu du gué qu’il est prudent de changer les chevaux !


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-Gérant,

FRANCIS CHARMES.