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ministère des Affaires étrangères de Russie lui est une preuve manifeste des sentimens amicaux de ce pays. Il en est de même, en Autriche, de la haute situation dont le comte Berchtold remplit si bien les charges. L’Autriche et l’Allemagne ont été mises à l’épreuve par une guerre qui, les plaçant entre un ami et un allié, devait leur causer quelque embarras, mais elles en sont sorties de manière à mériter les remerciemens de la Turquie. Tout est donc pour le mieux dans la meilleure des Europes. Quant à la guerre, elle continuera jusqu’au moment où l’Italie accordera à la Porte des conditions de paix honorables, c’est-à-dire où elle reconnaîtra sa pleine souveraineté sur la Tripolitaine, la Porte étant décidée à ne céder jamais une parcelle de territoire ottoman et encore moins à la vendre. Ce sont là de fières paroles : sont-elles bien d’accord avec la vérité ? Il semble que Saïd pacha ait voulu sortir en quelque sorte tous ses avantages, soit pour en parer sa chute, soit pour en écraser ses successeurs s’ils en compromettent et en perdent quelque chose. En réalité la situation de la Turquie est critique, en dépit des bonnes volontés qu’elle rencontre en effet en Europe, mais qui ne suffisent pas à la tirer des difficultés qui l’assaillent. On répète volontiers à Constantinople que la guerre peut durer indéfiniment sans que la Turquie en souffre ; les événemens d’hier montrent que cela n’est pas tout à fait vrai ; la crise intérieure est en grande partie l’effet du mécontentement causé par la prolongation de la guerre dans une armée qui, malgré toute sa valeur, se sent impuissante à y mettre un terme. Peut-être en est-il de même du côté italien ; mais en Italie l’esprit public a un autre ressort qu’en Turquie, l’opinion a une autre tenue et, bien qu’elle n’ait pas encore produit, à beaucoup près, le résultat qu’on en attendait, la guerre y reste populaire. Un beau fait d’armes que la flotte vient d’accomplir a produit dans toute la péninsule un enthousiasme indescriptible. Cinq ou six torpilleurs sont entrés de nuit dans les Dardanelles ; lorsqu’ils y ont été découverts, ils avaient déjà fait du chemin et ils ont continué d’en faire sous les feux convergens du rivage, poussant jusqu’à la flotte ottomane qu’ils avaient formé le projet de couler. La flotte était garantie par des chaînes de métal qui ont arrêté les torpilleurs italiens ; mais ils n’en avaient pas moins fait vingt kilomètres et ils s’en sont retournés comme ils étaient venus, toujours sous le canon ennemi qui ne leur a causé que des avaries insignifiantes. Cet acte héroïque, qui rappelle un peu ceux de notre amiral Courbet, ne saurait être trop admiré, bien qu’il n’ait pas atteint son but. L’audace de la conception et l’énergie de l’exécution montrent ce que