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— Je ne sais plus penser à ma jeunesse heureuse :
Libre et robuste, avec des rires dans sa voix,
Elle est restée au fond des vergers et des bois.
A présent sur ma face ardente qui se creuse
Je n’ai plus de soleil ni de vent passager,
Et si l’amour voulait venir jusqu’à ma couche,
Il pâlirait, voyant le dessin de ma bouche
Immobile… Je suis devenu l’étranger,
Et mon bonheur m’oublie ainsi qu’un fils prodigue,
El la douceur des fruits plus jamais ne tiendra
Dans cette main déserte et blême au bord du drap.
Je suis enveloppé de fièvre et de fatigue…
— J’ai compris ma faiblesse hier, en épiant
Tes yeux mouillés et ton mensonge souriant,
O toi qui lis un peu croyant que je repose.
J’ai compris ma faiblesse et regretté des choses…
Un instant j’ai voulu garder comme un trésor
Mon sang de pourpre lente et ma force fanée.
Mais, plus sage à présent, je glisse vers mon sort…
Le crépuscule a clos mollement la journée,
Et l’immobile nuit me tient dans ses réseaux :
Est-ce l’humain sommeil ou l’autre qui commence ?…
J’ignore… Je suis calme et vaguement, d’avance,
J’ai peur de l’aube froide où chantent des oiseaux !…


LE SILENCE


Il est l’ami des cœurs farouches et meurtris ;
Lui seul nous parle après que plus rien ne nous reste ;
Dans l’émoi d’un regard ou la ferveur d’un geste
Il fait tenir tous les aveux et tous les cris.

Il est persuasif autant que l’éloquence ;
Il nous ouvre, loin des propos habituels,
D’autres espoirs, d’autres âmes et d’autres ciels ;
Il enseigne le prix sacré de ce qu’on pense…

Il redit les sermens qu’on n’a pas entendus,
Il murmure ceux qu’il fallait que l’on devine ;
Près de nous le silence est une voix divine,
Qui continue alors que les mois se sont tus.