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PETITE GARNISON MAROCAINE.

Mais, de temps à autre, ces marches stériles s’exécutaient avec solennité. Comme en France, des manœuvres à double action, où l’ennemi était « représenté, » assuraient la liaison des armes et mobilisaient toutes les forces disponibles de la petite garnison. Le détachement de Guicer fournissait invariablement le parti de rebelles ou de pillards, dont un émissaire diligent aurait dénoncé la présence dans quelque douar où ils commettaient, en principe, les déprédations d’usage. Dar-Chafaï expédiait aussitôt ses marsouins et ses goumiers qui s’efforçaient d’exécuter des variantes sur le thème connu : surprendre l’ennemi, l’obliger à la retraite, ou le capturer. Ces divertissemens inoffensifs maintenaient la troupe en haleine. Ils développaient en outre, entre les marsouins et les goumiers, l’estime réciproque et la camaraderie militaire qui s’étaient ébauchées, l’année précédente, sur les routes de Fez, de Bahlil et de Meknès.

Les coloniaux reconnaissaient « leur manière » dans l’organisation des goums de Chaouïa. Ils en louaient l’absence de l’ordinaire, le néant de la literie et des chaussures, la simplicité des écritures, la légèreté de l’équipement. Ils convenaient que, si les Marocains pouvaient éviter le moule où les tirailleurs algériens s’étaient trop européanisas, les goums représenteraient le type idéal des troupes indigènes. Formés en corps indépendans, de 150 à 200 hommes, dont un quart de cavaliers, ils doivent à leur caractère mixte une extraordinaire mobilité. Le recrutement, effectué sous la garantie matérielle et morale des douars, ne place dans leurs rangs que des sujets honorables et connus. Leurs instructeurs sont nombreux et choisis avec soin : dans chaque goum, trois officiers d’infanterie, un de cavalerie, un médecin, que secondent plusieurs sous-officiers aidés par une dizaine de tirailleurs algériens, forment un cadre solide autant qu’expérimenté. Ils sont en effet recrutés dans les régimens du 19e corps, et possèdent fous une connaissance suffisante de la langue arabe et des usages musulmans. Le problème de la spécialisation est ainsi résolu d’une manière plus rationnelle que chez les coloniaux, où les officiers et sous-officiers des troupes indigènes sont souvent désignés au hasard[1]. Grâce à

  1. Un officier de ma connaissance, titulaire du brevet supérieur de langue annamite, qui, à l’approche de son tour de départ, avait demandé son affectation en Indo-Chine, fut désigné pour le Zinder. Il protesta, et les conséquences de sa réclamation le firent échouer à Madagascar.