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étapes de son excursion. A la première, la petite ville de Westeras, elle devait voir ce fils d’Armfeldt qu’il avait eu à Paris de Mlle l’Éclair et qui était au collège. Elle avait toujours témoigné à cet enfant le plus tendre intérêt.

« J’aime ce petit Maurice comme mon propre trésor, mandait-elle au père, et plus je me sens malheureuse, plus je m’y attache. Abandonnée de toi, il ne me resterait plus que lui sur la terre. »

Elle le vit et en parla avec émotion à Armfeldt :

« J’ai examiné ses études. Il est à la deuxième leçon de mathématiques, il a traduit, du suédois en français, l’histoire de Suède depuis Gustave Ier jusqu’à Sigismond ; il est très avancé en géographie ; il comprend l’anglais en le lisant et compte assez bien. Il sera grand et robuste comme toi ; il a déjà la taille de mon frère cadet. Sa jambe est plus droite et il n’en ressent pas souvent des douleurs. Il sera à coup sûr un de nos plus beaux hommes ; sa physionomie s’est beaucoup développée, tout le bas du visage te ressemble et il a les plus belles couleurs. Enfin, j’en raffole plus que jamais. »

La seconde étape du voyage solitaire de Madeleine fut la terre de Lénas, qui appartenait à Armfeldt. Il l’avait invitée à s’y reposer quelques jours et des ordres étaient donnés pour qu’elle y fût traitée comme la châtelaine. Elle y arrivait le 27 août, et, le même jour, elle écrivait à Armfeldt :

« Devine, mon ange, d’où je t’écris cette lettre ? De Lénas même. Mais tu ne croiras jamais qu’en cet endroit qui ne devait m’offrir que l’image d’un bonheur futur, j’ai commencé par verser des larmes amères. En voici la raison : d’abord, je me suis dit que quand Pojke était dernièrement ici, ce fut au moment de s’éloigner peut-être pour la vie de sa Malla. Quand Mme d’Armfeldt y a passé, ce fut pour t’aller rejoindre. J’y viens et c’est pour déplorer ton absence, y trouver l’ennui et les chagrins. Que nos trois sorts sont différens et qu’à cette comparaison mon cœur se déchire !

« Te l’avouerai-je, mon bon ami ; ce qui a achevé de m’accabler, c’est la réception de la lettre du 29, qui m’attendait ici pour m’annoncer l’arrivée de Mme d’Armfeldt auprès de toi ? Crois-tu qu’après cela, cet endroit, tout charmant qu’il soit, puisse me donner des images riantes. Hélas ! non, je ne fais que broyer du noir et ne puis croire que mon bäqta pojke viendra jamais habiter Lénas auprès de sa Malla. Il ne l’aime pas assez,