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quand, jusque dans tes bras, il me faudra trembler pour tes jours ? Heureuse illusion qui m’est ravie de voir finir mes chagrins en me réunissant à celui que j’aime. Sais-tu, mon ami, ce qu’une pensée pareille a de désolant pour l’affection et le cœur sensible de ta Malla ? Quel destin m’est-il réservé au bout de mon voyage ? Les barbares ne choisiront-ils pas le moment où tous nos vœux s’accomplissent pour nous séparer à jamais ?… Contrariés dans tous nos projets, il ne faut pas moins qu’un amour comme le nôtre pour ne pas succomber sous le joug de l’adversité. Mon idée de convertir ma pension qui nous eût mis à l’aise, entièrement détruite, tous les plans, les arrangemens que tu avais si sagement préparés, également échoués, tout dérivant de la même source : l’inimitié de Reuterholm. Sans elle, sans les soins qu’on a pris d’exciter contre toi l’esprit du Roi, la lettre que tu voulais faire écrire l’eût été et toute notre inquiétude à cet égard dispersée, toi-même rassuré à jamais. Si pourtant tu t’adressais à l’aube ; qu’il engage le Roi ; peut-être que la persuasion d’un homme tel que lui parviendrait à l’enhardir. »


II

En lisant ces pages enflammées, on doit croire qu’à l’époque où elles furent écrites, Armfeldt avait promis à Madeleine de l’appeler bientôt auprès de lui. Mais comment ajouter foi à la sincérité de cette promesse quand on se rappelle qu’à Vienne, au même moment, il était attelé au char de la princesse Mentschikoff et que, devant bientôt se séparer, ils avaient pris l’un envers l’autre l’engagement de se retrouver à Naples ? N’est-on pas plutôt autorisé à penser qu’il avait surtout en vue de conjurer les éclats de la jalousie de Madeleine, en la berçant d’une illusion difficilement réalisable ? Au surplus, quelles que fussent ses intentions, Madeleine ne doutait pas de sa sincérité. Elle se voyait, dans un avenir prochain, réunie à lui, peut-être en Italie, plus probablement en Russie, car il lui laissait entendre qu’il ne conserverait pas ses fonctions diplomatiques et qu’il irait chercher fortune à Saint-Pétersbourg, où il se croyait assuré de la faveur de l’Impératrice. C’est dans la capitale russe qu’elle songeait à aller, en s’arrêtant à Vienne où elle le retrouverait et d’où elle le suivrait partout où il irait. Elle avait même