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tion savante l’eau qui emplissait les réservoirs, égayait les vasques de marbre et les bassins de mosaïque, scintillait dans les abreuvoirs. Mais nos guerriers n’avaient pas réparé cette mécanique, dont les débris gisaient dans les décombres des murs éboulés. Un trépied branlant soutenait aujourd’hui une poulie grinçante, où courait un câble tiré par un mulet pensif ; du fond du puits un sac en toile montait, et quatre hommes le vidaient sans hâte dans les récipiens de tôle qui renfermaient la provision journalière de la garnison.

Cette installation sommaire datait du temps où, les yeux sans cesse fixés vers le pays des terribles Tadla, 900 soldats et 30 officiers habitaient la kasbah. Les chevaux d’une batterie et d’un escadron, les mulets du train, s’étaient tour à tour désaltérés, comme ils avaient pu, sous la protection d’une troupe en armes, aux puits de Bou-Gendouz éloignés de trois kilomètres. Ils s’étaient succédé autour d’une bâche d’arraba, de quelques auges creusées dans des trous de tamarins, et la journée suffisait à peine aux séances d’abreuvoir. Cependant, le bassin et le puits d’une noria se voyaient encore au milieu des orangers et des oliviers mutilés du jardin qu’elle arrosait autrefois. Avec quelques centaines de francs, et moins d’indifférence, on aurait ramené les fruits et les fleurs, on aurait remplacé le cloaque du lavoir, ses auges vétustés, par des aménagemens plus dignes de nous. Et les indigènes, qui nous jugeaient sur la comparaison du présent et du passé, nous considéraient comme des barbares ignorans et prétentieux.

Peu à peu, l’effectif de la garnison avait diminué. Un peloton de marsouins, un détachement du 3e goum, quelques tringlots, y représentaient maintenant l’ « arrière-garde tactique. » Préservés, par leur éloignement, de la fièvre qui animait vers le Nord les colonnes circulaires dont les « quotidiens officiels » annonçaient les exploits ; dispensés, par leur faible nombre, des conceptions subtiles et des dispositifs savans dans le cas d’une alerte imprévue, les coloniaux s’appliquaient d’abord à rendre habitable leur maison. Avec une patience de fourmis, ils recommençaient à Dar-Chafai des travaux interrompus ailleurs par leurs changemens successifs de résidence, et dont une longue pratique de la vie outre-mer leur avait appris l’utilité. Ils savaient que les privations bénévoles sont, pour le soldat européen aux colonies, une cause efficace de misère physiologique