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l’expansion de notre influence dans la vallée de l’Oum-es-Rbia était remise à une date indéterminée. Les notables prévoyans qui manifestaient, dans les tribus Tadla, leurs sympathies pour nous, étaient abandonnés sans protection aux vengeances de nos ennemis. Ceux-ci, encouragés par notre inertie, proclamaient que leur territoire serait notre tombeau ; ils menaçaient d’un pillage général les Beni-Meskine qui avaient accepté une tutelle déshonorante, dont le poste de Dar-Chafaï était le témoignage. Ainsi, depuis deux ans, les Tadla défiaient notre offensive, et nous attendions leur attaque. Et le touriste, à qui la situation des deux partis était expliquée, ne manquait pas de la comparer à celle des deux écoliers qui vont vider un différend : « Tu vois la paille que je mets sur mon épaule ? touches-y si tu oses ! — Je la toucherai, si je veux ! — Eh bien ! touche-la ! — Oui, quand je voudrai ! je ne te crains pas ! » La discussion continuerait, interminable, si quelque camarade impatienté ne poussait l’un contre l’autre les adversaires, que cette intervention décide à se prendre aux cheveux.

L’intervention se produira tôt ou tard, sous une forme inattendue. D’ailleurs, le résultat du conflit n’est pas douteux. Si nous savons agir sur la cupidité, la vanité sans bornes des Marocains, gagner de proche en proche des partisans, pratiquer la politique facile de la division, apprécier justement la valeur des irréductibles, allier la force à la mobilité, agir comme au Tonkin, au Soudan, à Madagascar, au Ouadaï, nous verrons que les Tadla, pareils à toutes les grandes tribus marocaines, sont plus terribles de loin que de près. Peut-être nous opposeront-ils, pour sauver l’honneur, une résistance plus bruyante qu’efficace, et mobiliseront-ils tous leurs guerriers dans une impressionnante coalition. Nous devons souhaiter cette attitude au lieu de la redouter, car elle démontrerait d’un seul coup la supériorité de nos armes dans une rencontre qui sera le prologue indispensable à la « tache d’huile » des organisateurs.

Les premiers occupans de Dar-Chafaï ne devaient pas avoir un tel optimisme. Ils avaient machiné la kasbah pour une lutte désespérée contre des assaillans impétueux. Les remparts étaient couverts d’abris, où de nombreuses sentinelles avaient monté une garde vigilante ; les murs des bâtimens, percés comme des écumoires par les créneaux d’infanterie, par les portes des lignes de communications intérieures, étaient prêts à cracher