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censure de saint François de Sales, dans les ménages de la haute société on faisait habituellement lit à part et même chambre à part. L’importance morale et sociale du lit conjugal se manifestait par la façon dont il était isolé et abrité contre les intempéries et les indiscrets et en même temps abordable aux visiteurs. Souvent il était apporté en mariage par la fiancée, souvent la garniture, — rideaux, pentes, cantonnières, couverture de parade, etc., — était l’œuvre de ses mains. C’est sur le lit nuptial que la nouvelle mariée en grande toilette recevait, le lendemain des noces, les visites de félicitations. Ce n’est pas la seule circonstance où les visiteurs trouvassent la femme sur son lit. On pourrait donc ne voir dans les réceptions de la nouvelle mariée qu’un usage sans signification morale et sociale, à peine digne d’être relevé. Il faut y voir autre chose. Il y avait là un exemple de plus de la publicité dont étaient entourés les actes intimes de la vie domestique. Nous n’avons rien à ajouter à ce que nous avons dit ailleurs de celle des noces[1]. Celle des couches, la toilette de l’accouchée, les visites qu’on lui fait et où s’échangent des commérages comme ceux dont l’auteur des Caquets de l’accouchée s’est fait l’écho, sont présentées par l’avocat Ant. Arnauld comme une façon pour la mère de famille de rendre tout le monde témoin d’une fécondité dont elle doit être fière par opposition à la maternité inavouable et clandestine de la concubine. Le mariage était consommé. Les amis, les connaissances venaient en prendre acte et en féliciter la mariée de la veille. Le temps n’est pas encore arrivé où les nouveaux époux se déroberont par l’absence aux embarras de leur nouvelle situation. C’est qu’on n’est pas sensible à ces embarras. On le sera à la fin du siècle. L’usage que nous signalons indignera La Bruyère. Mme de Sévigné nous le présentera comme n’étant plus pratiqué que par les paysans. Dans la première moitié de ce même siècle on trouvait encore naturel de faire assister le public aux événemens qui intéressaient la famille. La première des familles françaises, celle qui donne l’exemple aux autres, la famille royale, ne devait-elle pas, parce qu’elle était celle de tout le monde, vivre aussi, plus qu’aucune autre, sous les yeux de tout le monde[2] ?

  1. Voyez la Revue du 1er janvier 1911.
  2. Les lecteurs de la Revue n’ont pas oublié l’autorité avec laquelle M. Funck-Brentano a mis en lumière et en action ce caractère fondamental de la Monarchie française. Voyez son livre Le Roi (Hachette).