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PETITE GARNISON MAROCAINE.

venus quand ils commencent leur histoire par le cliché traditionnel sur les sabots qu’ils portaient en arrivant à Paris.

Humble cahute, maison vaste et confortable, palais somptueux, jalonnent les étapes de la vie publique des Chafaï. L’histoire de la famille se confond ainsi avec celle de la kasbah. C’est d’ailleurs celle de tous les clans féodaux du Maroc : ils naissent dans l’intrigue, grandissent dans la tyrannie, sombrent dans la disgrâce des souverains ou la révolte des administrés. Aujourd’hui, le petit-fils de Si-Chafaï, qui fut lui aussi caïd des Beni-Meskine après son père Si-Ahmed, est exilé à Marrakech. Les champs, les jardins de Bou-Gendouz et de Tiferdiouine lui sont disputés par d’innombrables collatéraux, et la kasbah, revendiquée par le Maghzen, abrite depuis deux ans l’ « arrière-garde tactique » des troupes débarquées au Maroc.


Ce déploiement de forces y subissait, d’ailleurs, les caprices des circonstances. La « colonne d’observation » stationnée à Guicer, le bataillon, la batterie et l’escadron de l’a arrière-garde tactique » s’étaient volatilisés dans les groupemens hétéroclites que le général Moinier conduisait à Fez, dans les postes qui protégeaient les communications entre la capitale et l’Océan. Mais on n’avait jamais cessé d’occuper Dar-Chafaï, que l’on croyait toujours exposé à quelque retour offensif des Tadla. C’était exagérer la valeur combative de ces guerriers, et l’on pouvait attribuer au « mirage africain » la nature et la durée de l’impression causée chez nous par les résultats de la colonne Aubert. Dans ce pays où quelques tués, une dizaine de blessés pour un effectif de trois mille combattans font qualifier toute rencontre de « sanglant combat, » on oubliait qu’un millier d’hommes avait poussé une pointe de cent cinquante kilomètres dans le pays des Tadla, fait sauter pour l’exemple la porte de leur kasbah principale, passé sur le corps de tous les guerriers confédérés qui voulaient barrer la route du retour, pour ne se souvenir que des 20 tués et des 60 blessés dont le commandant Aubert avait payé son exploit. Ces pertes semblaient colossales aux libérateurs de Fez, aux vainqueurs de Bahlil et de Meknès. Elles paraient d’une auréole d’invincibilité les guerriers sans cohésion et mal armés que notre victoire sans lendemain transformait en triomphateurs. Les effectifs qu’on estimait nécessaires pour réduire leur siba chronique semblaient si considérables, que