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avait le bon goût et la discrétion de se refuser à dépouiller les villes françaises de leurs antiquités[1], il se dédommageait ardemment, âprement, en pays étranger ; une guerre victorieuse, les embarras financiers de quelque riche collectionneur, une fouille heureuse en Italie ou en Grèce, toutes les occasions lui étaient propices pour ajouter à la splendeur du Musée Napoléon. Admis à suivre l’Empereur dans ses campagnes, à être son interlocuteur familier pendant les déjeuners des Tuileries, il lui était facile de suggérer des revendications ou des achats que le maître prenait à cœur, comme tout ce qui intéressait sa gloire et la splendeur de son règne.

C’est ainsi que Denon participa sûrement non seulement à l’aménagement, mais à l’acquisition des antiques de la villa Borghèse, dont la vente fut en 1808 imposée par Napoléon à son beau-frère Camille. Pour transporter les pièces les plus considérables, on construisit des chars spéciaux, attelés, dans les passages de montagnes, de douze et quinze paires de -bœufs. « Un premier convoi des sculptures de la villa Borghèse vient d’arriver, » écrivait joyeusement Denon le 14 octobre 1808. « J’en ai fait déposer les caisses dans l’ancienne salle des séances de l’Institut. Je procéderai à leur ouverture aussitôt après l’exposition, et, si V. M. l’ordonne, le placement de ces chefs-d’œuvre sera pour Paris une curiosité qui succédera à l’intérêt qu’inspire aujourd’hui le Salon. »

Vers la même époque, Denon pressait son maître de mettre à profit l’annexion de la Toscane pour attribuer au Louvre une partie des antiques de Florence. « C’est peut-être actuellement, » représentait-il, « la seule occasion d’ajouter à la sublime collection du Musée Napoléon huit morceaux de sculpture de premier ordre, principalement l’Apollon, qui est le pendant naturel de la Vénus, et deux bas-reliefs les plus beaux connus. » Le tentateur insinuait cet argument spécieux, que les marbres en question, transférés de la villa Médicis de Rome depuis

  1. Cf. cette lettre caractéristique au maire de Vienne en Dauphiné : « Le Musée Napoléon est fondé, Monsieur le Maire, pour recevoir et exposer à la curiosité du public et à l’instruction des artistes les illustres trophées des années et les richesses du gouvernement en objets d’art, mais non pour dépouiller les villes de l’Empire des antiquités qu’elles possèdent. Si quelques monumens épars dans quelques villes de France ont été demandés pour le Musée Napoléon, c’est que l’insouciance des autorités locales et des administrés pour leur conservation exigeait cette mesure ; » (10 septembre 1807. Archives des musées nationaux.)