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agréablement l’incohérence parlementaire qui avait présidé aux délibérations de la Convention. Le désir de contenter le maître l’entraînait même, — et ceci était une vraie faute professionnelle, — à machiner une supercherie archéologique. C’était au moment où se préparait la descente en Angleterre, où Bonaparte cherchait à mettre en évidence les souvenirs de Guillaume le Conquérant. Denon lui signalait, dans les caves du Musée des monumens français, aux Petits-Augustins, une statue anonyme, « costume du XIe siècle, visage gras, les yeux à fleur de tête et l’air colérique : » on l’emballerait en cachette, puis une charrette la transporterait mystérieusement sur les bords de la Seine, à deux lieues en aval de Paris. De là, un bateau la ramènerait en grande pompe au port Saint-Nicolas, pendant que les journaux dûment stylés annonceraient la découverte près de Cocherel d’une effigie authentique du duc Guillaume. Le préfet Frochot, « sans être instruit que de ce qu’il doit savoir, c’est-à-dire que l’on a véritablement trouvé cette statue en Normandie et qu’elle est arrivée à Paris, » voudrait sûrement l’ériger sur une des places de la capitale, et, concluait Denon triomphant, « l’illusion sera telle que moi-même, ainsi que tout Paris enchanté de la trouvaille, je voudrais me la contester que je ne le pourrais plus. » Ce dernier trait était exquis, et toute l’invention d’ailleurs faisait honneur à la fertilité d’imagination de l’auteur de Point de lendemain, sinon à la probité scientifique du directeur du Musée. On n’en était pas moins à la merci du bavardage d’un ouvrier ou « l’un marinier : par prudence ou par scrupule, le Consul s’abstint de donner suite à cette trop ingénieuse suggestion.

A côté du courtisan, il y avait chez Denon un administrateur fort avisé. Quand il entra en fonctions, la Monnaie des médailles était dans un tel dénuement, qu’il dut avancer de ses deniers les sommes indispensables pour continuer la fabrication : sous sa direction, cet établissement combla rapidement le déficit de la période antérieure, puis connut des bénéfices qui dépassèrent 61 000 francs pour la seule année 1808. Mais surtout, Denon était passionné pour l’accroissement et l’embellissement de la merveilleuse collection dont il avait la garde. A chacune des grandes campagnes napoléoniennes, il sollicitait l’autorisation de suivre le quartier général, pour prendre sans doute les croquis qui lui serviraient à commander les tableaux