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lui faire oublier les angoisses d’un passé récent, les calculs du présent et les embûches de l’avenir. Sur le côté Sud de la cour, une galerie en arcades montre ses grillages finement ouvragés, le miroitement de ses piliers, les couleurs éclatantes de ses boiseries : elle précède une vaste chambre carrelée de faïences, ornée de mosaïques. C’était l’asile des fidèles esclaves noirs, des serviteurs qui avaient l’honneur d’approcher le maître, ceux dont la présence lui était agréable et le dévouement précieux.

Ce décor élégant convient aux splendeurs de la demeure habitée jadis par Si-Ahmed. Sur la face Nord de la cour, une large vérandah pavée de carreaux minuscules et chatoyans est supportée par des piliers ornés de faïences bleues et blanches ; entre leurs fûts octogones que relient des ogives élancées, court une haute balustrade où le fer forgé s’étire en dessins capricieux. La porte d’entrée peinte de claires arabesques est vaste comme un portail de cathédrale ; ses lourds battans, qu’allègent deux guichets aux ferrures archaïques, tournent dans des gonds énormes qui s’effilent en clochetons. Elle donne accès dans la chambre du maître, dont les proportions étonnent nos yeux accoutumés à l’exiguïté des appartenions parisiens : elle est longue de douze mètres, large de quatre, haute de sept. Une profonde alcôve l’agrandit encore, ceinturée par trois étages de décors : des mosaïques jusqu’à hauteur d’homme, où le bleu, le noir, le vert, s’estompent sur un fond glauque ; au-dessus, des panneaux en plâtre sculpté, où les reliefs dessinent symétriquement des fouillis harmonieux, que rehaussent des teintes vives ; enfin, des peintures compliquées, où les imbroglios géométriques, alternant avec les fleurs, atténuent dans le demi-jour l’opulence de leurs tons chauds. Le plafond de ce temple somptueux de l’amour et du sommeil, à qui le lit Picot, la chaise Archinard et la table du chef de poste donnent maintenant un aspect monacal, disparaît sous une rosace gigantesque, labyrinthe de lignes régulières que l’œil s’épuise à suivre et à démêler dans leur chatoiement de couleurs. Un fronton grandiose couronne cette alcôve enguirlandée par des versets du Coran taillés en relief sur un fond d’azur, entre « les dentelles de plâtre. La salle tout entière fait d’ailleurs une monture digne de cet éblouissant joyau. L’admiration y va du sol recouvert de céramiques savamment assorties, aux mosaïques des lambris, aux bandeaux sculptés qui encadrent les baies, aux grilles en fer forgé des fenêtres, aux