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obstinée, entre la mentalité chrétienne et l’Islam, est rendu encore plus violent par le drapeau français qui Hotte sur la terrasse du minaret. Si-Chafaï, l’ancêtre, avait patiemment édifié la demeure familiale que sa descendance agrandissait ; et, dans ses constructions uniformes, il mettait toute l’âme de sa race : les logis mystérieux devaient ignorera jamais, derrière leurs murs énormes et leurs portes fermées, l’agitation de l’extérieur. Mais les Roumis sont venus ; ils ont chassé les maîtres légitimes, percé partout des ouvertures, abattu les barrières, pour faire pénétrer de l’air et de la lumière dans ce colossal emblème du monde musulman.

L’aspect de la kasbah, du dehors de l’enceinte, ne fait pas soupçonner les merveilles d’élégance, le confortable raffiné dont s’entouraient ses anciens possesseurs, et que les dévastations de la guerre civile ou de notre occupation militaire n’ont pas complètement détruits. Aux temps que le protectorat va séparer de nous par un abîme profond, il n’était pas prudent pour les caïds de rendre trop visibles les effets d’une administration intéressée. Les fonctionnaires enrichis renonçaient aisément aux satisfactions extérieures de la vanité, pour éviter les emprunts forcés, les restitutions vengeresses que n’auraient pas manqué d’ordonner des sultans toujours besogneux. Ils goûtaient en égoïstes les joies de l’opulence ; ils cachaient aux regards indiscrets les splendeurs de leurs demeures, comme le paysan méfiant dont nous parla Rousseau. C’est ainsi que terrasses, appartemens, colonnades et jardins disparaissent derrière des tours banales et des murs sans caractère, qui se développent sur les faces d’un carré de cent mètres, exactement orienté. Un soubassement de moellons, large de un mètre cinquante, supporte le conglomérat de cailloux et d’argile, haut de six à dix mètres, dont sont faits les maisons, les remparts et les tours. Ce béton rustique, enduit de terre bien polie, a la consistance du roc ; il serait indestructible, si les torrens qui courent sur le sol après chaque ondée ne minaient le pied des édifices, dont ils préparent l’écroulement. D’ailleurs, leurs angles mal raccordés sont en outre une cause efficace de ruine. Mal soutenus par leurs bases rétrécies, les murs penchent, se disjoignent, ouvrent des brèches où l’eau des pluies qui s’infiltre, où le vent qui fait rage, accomplissent vile leur œuvre de destruction. Les constructions les plus imposantes exigent un entretien constant, que les indi-