Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/588

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

consentit. Celui-ci objecta sa mauvaise santé, son grand âge, et la réputation qu’il avait, aux yeux de certains, d’être complaisant pour le pouvoir civil ; l’archevêque Melchers, par exemple, mettait en lui peu de confiance, et de telles suspicions pouvaient être gênantes, pour négocier. Hefele rappelait aussi que deux ans plus tôt, lorsqu’il avait une première fois tâché de rendre quelques services au Pape et au roi de Prusse, il n’avait pas réussi ; et puis, avec une netteté qui l’honorait, il tenait à faire savoir a Bismarck que les auteurs des lois de Mai se trompaient lorsqu’ils alléguaient, en faveur des exigences prussiennes, l’organisation de l’Eglise wurtembergeoise. En Wurtemberg, l’évêque dressait la liste des candidats à la cure vacante : l’Etat en prenait connaissance, et avait, une fois seulement, rayé un nom ; en Prusse, au contraire, l’Etat exigeait qu’on lui présentât, pour un poste déterminé, un curé déterminé, et qu’on lui laissât le droit de dire oui ou non. Hefele ne consentait pas à soutenir, à cet égard, les prétentions de la Prusse. Ainsi se déroulait sa lettre : il ne refusait pas formellement à Mittnacht le concours demandé par Bismarck, mais il ne montrait aucun enthousiasme pour cette besogne et ne laissait espérer à la Prusse aucune complaisance. Le ministre wurtembergeois transmit à Bismarck la réponse épiscopale, et Bismarck ne songea plus à se servir de Hefele.


IV

Il avait sous la main, à Berlin, son vieil ami Conrad de Schloezer, représentant de la Prusse à Washington, qu’il avait eu pour secrétaire, vingt ans plus tôt, à l’ambassade de Saint-Pétersbourg, et qui, de 1864 à 1868, avait appartenu à la légation de Prusse auprès du Saint-Siège ; il résolut de se servir de lui. Bismarck connaissait Schloezer, Schloezer connaissait Borne ; et Schloezer savait, tout à la fois, comprendre Bismarck à demi-mot et comprendre Borne à demi-mot. L’Allemagne bismarckienne était pauvre en grands diplomates ; glorieuse dans l’art de la guerre, elle estimait peut-être que la diplomatie, cet art de la paix, était un art de valeur moyenne, fait pour des génies moyens. La diplomatie, c’est souvent l’arme de la faiblesse ; l’Allemagne, elle, appréciait la force ; et d’ailleurs, quand il y avait de grandes négociations à mener, Bismarck s’en chargeait, et les subordonnés étaient annulés. Les circonstances, qui furent