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La presse nationale-libérale se consola par d’ambitieuses théories : que les ultramontains fussent demeurés étrangers aux fêtes, cela prouvait, d’après elle, qu’ils ne considéraient pas la cathédrale de Cologne comme incarnant leurs aspirations ; elle était trop germaine, trop nationale, pour être ultramontaine ; et les siècles futurs jugeraient entre elle et Saint-Pierre de Rome. Ce fut une démonstration anti-ultramontaine grandiose, lisait-on dans la Post : le monde n’en a pas encore vu de pareille. Et la correspondance de l’Association allemande, organe des nationaux-libéraux les plus fougueux, s’était à l’avance réjouie que le 15 octobre le Dôme « fût au moins débarrassé de cette classe de visiteurs qui regardent comme un honneur suprême de baiser la pantoufle d’un grand prêtre romain, et que la majesté de l’Empereur ne risquât pas d’être profanée par le voisinage des esclaves de Rome, intrus dans une église allemande. »

Quant à Guillaume Ier, il tirait sans doute, des spectacles qu’il avait eus sous les yeux, de tout autres leçons. Il savait qu’à l’endroit de son trône, les Rhénans n’avaient rien de frondeur ; et s’ils avaient boudé, c’est parce qu’un autre trône, celui de Melchers, était vide. Goerres autrefois avait salué la cathédrale comme la représentation épique et symbolique du devenir allemand, comme l’expression esthétique de l’unité future ; aujourd’hui cette unité était faite ; cet éloquent monument, victorieusement achevé, paraissait convier toutes les âmes allemandes à un élan de fierté. Mais le Culturkampf divisait les âmes, il paralysait l’élan ; et dans cette grande fête d’unité que des siècles entiers avaient invoquée, que le romantisme avait rêvée, que l’active dynastie prussienne avait préparée, voilà qu’au contraire émergeaient les divisions, d’autant plus profondes, peut-être, qu’elles demeuraient un peu voilées. Une Allemagne souffrante, l’Allemagne catholique, s’effaçait à demi, sur les marches du Dôme, de ce Dôme qui était sien, pour laisser entrer l’Allemagne gouvernementale ; la rencontre était froide ; les saluts contraints. Guillaume était homme à le sentir, et à s’en tourmenter ; et c’était avec sincérité, avec émotion, qu’il disait à l’évêque auxiliaire Baudri : « En cette journée que toute la nation salue joyeusement, l’épanouissement dans tout l’Empire d’une paix de Dieu, d’une paix non troublée, demeure, ayez-en l’assurance, le but de mes constans efforts, de mes quotidiennes prières. » Il avait été impossible de lui organiser, à Cologne, un de ces