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encore une idée ingénieuse. J’ai dit qu’elle avait eu peu de succès et c’est vrai. Encore faut-il dire que nombre de sermonnaires du XVIIIe siècle faisaient écrire pour un louis ou deux leurs sermons par des jeunes gens pauvres et bien doués et ces « déclamateurs » pouvaient se réclamer des théories de l’abbé de Saint-Pierre.

Cet homme était très intelligent. Il remuait beaucoup d’idées dont beaucoup étaient de lui, dont quelques-unes étaient décidément trop chimériques, dont beaucoup étaient telles qu’au moins nous les discutons et très ardemment encore aujourd’hui. Beaucoup, Montesquieu, Voltaire, le marquis d’Argenson, Rousseau, lui ont fait des emprunts dont une discrétion de bon goût les a empêchés de se vanter. Ses œuvres sont une mine d’idées, de vues et de projets que l’on n’exploite plus, mais où l’on pourrait puiser encore aujourd’hui. Il fut soutenu toute sa vie par l’amour du vrai et particulièrement du vrai à utiliser pour le bien des hommes. C’était un « pragmatique. » Il avait une qualité éminente et une force incomparable qui consistait à n’avoir pas le sentiment du ridicule et à être insensible à la risée. Le cardinal Dubois a dit de sa Paix perpétuelle : « C’est le rêve d’un honnête homme. » S’il vous plait, c’est toute sa vie qui fut le rêve quelquefois saugrenu, quelquefois très respectable et très intéressant, d’un très honnête homme.


EMILE FAGUET.